Écrire tous les jours ou presque : on n'a jamais tant écrit ... Dire que tout va bien, pour ne pas faire rentrer l'horreur dans les foyers, pour ne pas affoler ses proches, et parce que la censure veille.

116 lettres ou cartes postales rédigées entre le 28 septembre 1914 et le 26 octobre 1915, conservées aux Archives de Reims, transcrites telles quelles, progressivement mises en ligne à 100 ans d'intervalle, et commentées par l'historien Michel Royer. Parmi elles :

  • 37 du Rémois Lucien Pinet, majoritairement adressées à sa femme Madeleine, née Picard, épousée à Reims le 15 avril 1914, entre le 28 septembre 1914 et le 15 avril 1915. Le soldat Pinet décédera le 20 avril 1915
  • 41 du caporal Léon Rosset-Bressand, adressés à son épouse Madeleine entre le 25 octobre 1914 et le 26 octobre 1915
  • 28 issues du fonds familial Cuzin-Jaeger, notamment des lettres de Louis Cuzin à son frère Pierre, entre le 3 novembre 1914 et le 22 juin 1915

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28 septembre 1914, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mardi 28 septembre 1914 

Mad chérie

Je profite du départ d’un camarade pour Rennes, pour lui remettre cette carte qui peut-être par une autre voie de communication te joindra plus vite. Rien de bien intéressant au point de vue militaire à t’apprendre car c’est un secret professionnel. Quand au malheur de guerre la première Batterie a été bien éprouvée du même obus 5 blessés dont le capitaine et 5 morts puis 3 pièces. Je suis en bonne santé et j’espère te trouver bientôt de même car sa tire à sa fin. Embrasse tes parents et les miens et à toi ma douce et adorée petite femme de bons gros baisers qui te feront prendre le temps en patience. Ton petit homme.

Halary est en bonne santé lui aussi.


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Lucien Pinet est mobilisé dès le début de la guerre au 25ème régiment d’artillerie à Châlons-sur-Marne. Appartenant aux forces de couverture, ce régiment se porte dès le 1er août en Lorraine, dans la plaine de Woëvre puis près de Longwy. A partir de la mi-août, il bat en retraite jusqu’au début septembre où l’avance allemande est stoppée (bataille de la Vaux-Marie dans la Meuse). Du 15 au 20 septembre, le régiment s’établit au sud de Verdun, près de Rupt-en-Woëvre. Il n’en bougera plus de tout l’hiver 1914-1915. C’est donc dans ce contexte où la guerre de position remplace la guerre de mouvement qu’est écrite la lettre de Lucien Pinet. Dans sa missive, ce dernier rappelle qu’un soldat ne doit pas donner d’informations de type militaire, mais, ici, la formule utilisée, « secret professionnel », est une expression plus civile que militaire, pas étonnante sous la plume de quelqu’un qui deux mois auparavant était encore civil. Sa notation sur les pertes dues à un seul obus (5 morts et 5 blessés) nous rappelle que les premiers mois de la guerre sont extrêmement meurtriers et que la majorité des tués et blessés de la Première Guerre mondiale le sont par l’artillerie. La lettre, écrite trois semaines après la bataille de la Marne, montre que le soldat de base croit encore à une guerre courte (« car sa (sic) tire à sa fin »).

1er novembre 1914, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Dimanche 1e novembre 1914 

Petite femme chérie

C’est par une belle journée que je viens te dire pauvre Lilie un petit bonjour. Comment te portes-tu ainsi que tout nos pauvres parents. J’espère que la canonnade ne doit plus trop vous troubler quoique tout ces boches soit bien méchants. Les coups que vous pouvez recevoir maintenant sont des coups de fourberie car ils sont trop loin de notre pauvre ville pour l’atteindre véritablement. Je t’embrasse bien fort ainsi que toute la famille.

Ecris plus souvent.


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Lucien Pinet a une vision assez erronée de la situation : Reims est bombardée par les Allemands qui occupent les forts entourant la ville à l’exception de celui de La Pompelle. Les obus allemands atteignent bel et bien la ville.

3 novembre 1914, Lettre de Louis Cuzin à son frère Pierre

Le 3 novembre 1914

Mon bien cher Pierre

Je reçois à l’instant deux de tes lettres une datée du 19 et l’autre du 24 octobre. Je suis heureux comme toi de savoir que le papa est rentré à la maison et qu’il est à peu près rétabli.

Pour nous deux mon cher Pierre, il nous faut prendre un parti courageusement. Il nous faut en ce moment défendre notre pays envahi. Mon cher Pierre, je dois te féliciter d’avoir été un des premiers volontaires ; ma joie a été grande en apprenant cette nouvelle et heureux quoique le cœur gros, j’ai de mes lèvres de vieux soldat élevé à Dieu une prière pour toi. Pars mon petit Pierre, au revoir, ma pensée t’accompagne et je suis à toi.

Pour nous trouver sur le champ de bataille, la chose est difficile. Néanmoins, j’ai pensé bien souvent à permuter pour aller te rejoindre à ton Bataillon, mais la chose n’est pas possible les Etats Majors ont autre chose à faire que des mutations. Enfin, mon pauvre Pierre, puisque je ne peux pas être auprès de toi, je combats dans tes rangs. Nous nous retrouverons vainqueurs.

Il faut m’envoyer tous les jours un mot une signature si tu n’as pas le temps d’écrire pour que je sois tranquille.

Ce matin mon cher Pierre, j’ai passé près de la mort. J’avais été envoyé en course. Un camarade a été blessé et je n’ai pu me sauver que grâce à un petit bois. Il y avait une canonnade terrible.

Dis-moi si tu as pu passer à la maison et si tu as vu la famille. Quand tu seras sur le front de bataille, tu me feras connaître l’endroit par lettre et tu me diras si tu es dans les tranchées.

Pour moi, mon cher Pierre, je suis un peu protégé, mais je ne sais pas si ça durera. Nous couchons en ce moment sur la paille dans une grange, ce qui fait oublier bien des nuits passées à la belle étoile. Voilà 3 mois mon pauvre Pierre ; tu ne t’étonneras pas si les 15 premiers jours sont durs, tu t’y habitueras peu à peu.

Je te recommande de bien te couvrir et de la prudence. Pour le courage, je sais que tu es un brave.

Dans une même pensée pour nos pauvres parents, ton frère t’embrasse et t’aime de tout cœur.

Pense à Dieu, à la Patrie et à la famille.


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La lettre est une réponse de Louis Cuzin à son frère Pierre. Les deux frères sont dans une situation quelque peu différente. Louis est plus âgé que Pierre puisqu’il a déjà fait son service et a dû être mobilisé en tant que réserviste (classes 1900 à 1910) ce qui lui permet de se considérer comme « vieux soldats ». Pierre, lui, est né le 3 juillet 1894 à Irigny dans le Rhône. A la déclaration de guerre, il n’a pas encore effectué son service militaire ; il devance donc l’appel et fait donc partie des engagés volontaires (la loi de 1913 autorise les engagements volontaires pour la durée de la guerre à partir de 17 ans). Cet engagement (même s’il ne précède que de très peu l’âge officiel) a été fait probablement par patriotisme. On le sent à travers la remarque de Louis Cuzin (« je dois te féliciter d’avoir été un des premiers volontaires ») mais aussi par le fait qu’en août 1914 les engagements sont essentiellement motivés par le désir de lutter contre les Allemands. Au fur et à mesure que le conflit avance d’autres raisons se développent, en particulier le fait que, en s’engageant, on peut dans une certaine mesure choisir son arme ce qui permet d’être éventuellement affecté dans une arme moins exposée que l’infanterie comme l’artillerie ou le génie. Pierre est affecté au 11ème bataillon de chasseurs alpins en garnison à Annecy. Le patriotisme se marque aussi par les formules employées par Louis Cuzin : « il nous faut en ce moment défendre notre pays envahi » ; « nous nous retrouverons vainqueurs ».
Cette lettre nous informe aussi des conditions du conflit en ce début novembre 1914. La guerre de position a commencé (« tu me diras si tu es dans les tranchées »). Le danger est omniprésent et Louis ne cache pas la réalité à son frère : « ce matin, mon cher Pierre, j’ai passé près de la mort ». Les conditions matérielles sont dures : nuit à la belle étoile ou au mieux sur la paille d’une grange.
Le souci des proches est aussi omniprésent, celui du père malade, mais aussi et surtout celui du frère soldat. C’est la sollicitude presque maternelle de l’aîné pour son cadet (« je te recommande de bien te couvrir ») mais c’est surtout son inquiétude face au danger qu’il court : le mot « prudence » est souligné, et il y a la demande d’écrire tous les jours, là encore soulignée.

8 novembre 1914, Carte postale de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Il ne faut pas oublier que ça fait un an que ma classe fut libérée. Je me porte bien et espère que tu es de même. Bonjour au petit et surtout courage. Lettre suit et bons baisers. Ton petit homme.


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Lucien Pinet rappelle ici à son épouse que cela fait un an (novembre 1913) qu’il a achevé son service militaire. Né en 1890 il a commencé son service à 20 ans en 1910 pour deux ans mais il fera en réalité trois ans car, entre-temps, la loi a changé augmentant la durée du service d’un an.

14 novembre 1914, Carte postale d'un poilu

Le 14 novembre 1914

Ma chère Jeanne

Rien de bien interressant à te raconter aussi je te mets cette simple carte pour aujourd’hui, je pense avoir demain une lettre de toi et je te répondrai plus longuement. Je ne sais pas combien cela durera mais voici 7 jours que l’on ne fait absolument rien si ce n’est de jouer quelques litres de vin aux cartes. Je vous réunis tous deux dans un doux baiser et à demain. 


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La carte du poilu évoque ici un aspect important, mais souvent méconnu, de la vie dans les tranchées. Les attaques, les combats n’occupent qu’un aspect minoritaire du temps. La majorité de ce dernier est fait d’attente et, bien souvent, de l’ennui qui va avec. Pour tromper cet ennui, les soldats essaient de s’occuper comme ils le peuvent. Ici, on « joue quelques litres de vin aux cartes ». Les plus habiles façonnent de petits objets utilitaires ou décoratifs avec des matériaux de récupération (bois, métal récupéré à partir des douilles de munitions) : c’est l’artisanat de tranchée.

25 novembre 1914, Carte postale du caporal Rosset-Bressand à sa femme

25 novembre 1914

[Envoi du cal Rosset-Bressand, C.H.R. du 218e]

Ma petite chérie 

Je reçois ta bonne carte à la « crème » en ce que la contre-carte est utilisable pour réponse : j’en ferai un fidèle usage mais aujourd’hui j’ai pu avoir la reproduction inédite d’une faible partie de la Basilique N.D. de Reims après exercice du jeu de massacre inventé par des bandits pour détruire le plus glorieux de nos temples sacrés, et je m’empresse de soumettre à tes yeux de Française ce spectacle créé par la sauvagerie Teutonne, ce résultat brillant de la Kultur germanique. Il neige, il neige et ce n’est pas l’aigle de France qui courbe la tête ! Non certes, on surmontera toutes les douleurs physiques et morales et une bonne heure, qui n’est pas loin, sonnera où l’aigle de Prusse s’abattra sans vie sur les champs de bataille qu’il a voulus.

Mon rhume est bien parti rejoindre ses ancêtres, mais je crois que la grippe le remplace avantageusement, je dois tenir cela de mon chef de service qui est malade et que je supplée tant bien que mal : d’où difficultés écrivatoires. Et puis le spleen nous ronge… la tristesse infinie d’une nature inerte qu’un manteau de neige et de glace a endormie, avec ce début grippal sont la cause de cet état d’esprit. J’ai reçu un nouveau colis de B. et Léontine (cigarettes, chocolat et machins pour genoux) avec un long affectueux billet autographe, je remercie. On tâche de se défendre contre le froid mais l’usure de nos frusques ne le permet pas toujours facilement. Bons baisers autour de toi et tout particulièrement à toi ma chérie de ton homme qui t’aime bien bien.


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La carte est significative de l’état d’esprit patriotique qui règne au début de la guerre. Ici le caporal Rosset-Bressand emploie des allégories guerrières : l’aigle de France qui triomphera de l’aigle de Prusse. La missive montre aussi l’impact qu’a eu le bombardement de la cathédrale de Reims par les Allemands le 19 septembre 1914. Ce bombardement a été largement utilisé  par la propagande française, en particulier, comme ici, par le biais de cartes postales, montrant la cathédrale en flammes, victime de « la barbarie teutonne » et ironisant sur la « Kultur » allemande.

La lettre donne aussi des informations sur les conditions matérielles de la vie des poilus. On voit l’usure de vêtements qui ne permettent guère de lutter contre le froid de ce début d’hiver. En effet comme on pensait la guerre courte, l’intendance n’avait guère prévu le remplacement des uniformes. Aussi, les poilus sont obligés de pallier comme ils peuvent les insuffisances de l’intendance : on improvise, allant jusqu’à utiliser des vêtements civils (pantalons de velours par exemple), pourvu qu’ils tiennent chaud. Dans cet hiver 1914-1915 l’armée française prend souvent un aspect dépenaillé qui ne se normalisera que par la suite. Il y a ensuite les problèmes de santé liés à l’exposition au froid, à la pluie : le rhume, la grippe. Le paysage du front qui, outre son aspect dévasté, est celui de régions de plaines enneigées, atteint visiblement le moral de ce soldat originaire du Sud-Ouest qu’est le caporal Rosset-Bressand. Dans ces conditions le lien avec la famille est primordial, particulièrement par les colis reçus de cette dernière. Ces colis amènent des choses pratiques (ici des « machins pour les genoux », probablement des genouillères pour protéger un peu le pantalon de la boue ou de l’humidité) et des douceurs (cigarettes, chocolat) qui apportent un certain réconfort aussi bien physique que moral. Il est permis de penser que le caporal Rosset-Bressand possède une certaine culture comme le montre les formules employées dans sa lettre : « le plus glorieux de nos temples sacrés », « billet autographe ». Même le terme « écrivatoire » semble avoir été utilisé consciemment avec une sorte d’ironie et ne pas être une véritable faute de français.

25 novembre 1914, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mercredi 25 novembre 1914

Chère Mad

Rien de nouveau à t’apprendre la situation est toujours la même attente – attente. Nous devons sous peu aller à Reims ou Fismes. J’espère que tu es en bonne santé ainsi que mes chères belles-sœurs et maman quand au pauvre Papa on n’en cause pas. Plus rien il neige gèle mais le froid n’est pas trop dur. Bons baisers à toute la famille et à toi un gros gros bec.


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On retrouve ici ce temps de l’attente entre deux opérations qui constitue une bonne partie du quotidien du soldat. C’est aussi le début du premier hiver de guerre.

29 novembre 1914, Carte postale du caporal Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Ce 29 novembre 1914

Toujours rien de ma petite femme, si les colis du Bouscat ont subi des avatars je crois que la correspondance Charentaise ne peut rien leur envier. Le courrier de Bordeaux est fort régulier et je déplore infiniment la malchance du courrier de Saintonge puisque j’en subis le préjudice !! Bulletin aux termes invariables ! Santé, situation, température, rien ne change et cependant nous voudrions bien savoir et voir tous ces Boches de malheur hors des frontières élargies de la vieille terre de France. As-tu fait un long séjour à Jonzac ? Notre oncle y demeure-t-il constamment ? Parle-moi un peu du voyage à Rib. chère mandataire ? Mon coryza se maintient en d’honnêtes limites et la santé morale est fortement tonifiée ce jour d’hui par la nouvelle d’une autre grande victoire Russe, ils sont vraiment épatants, les précieux et braves alliés. Au Bouscat, on me donne des nouvelles de Delattre qui serait depuis deux mois en traitement au dépôt du 327e (la Réserve de  Vahe… devine où ?... à Guéret où fut sans doute transportée la place… d’Arras, notre élève sacrifiée du vieil Artois (je me trompe, il s’agit de Valenciennes, autre martyr du cher Hainaut !) Je voudrais bien, comme vous me le demandez toi et Maman, confier ma bobine aux talents d’un phot… mais faudrait  [suite au recto]  le dénicher ! et pour cela être… ailleurs. Afin de vous faire oublier ce… fâcheux contre temps, je me ferai un vrai devoir de vous rapporter mes « soyes » comme souvenir de campagne !!! Je me permets simplement une remarque : c’est que les lettres cachetées arrivent plus vite et plus sûrement que les cartes et le destinataire ne s’en plaint jamais !! De nombreux baisers autour de toi, les plus tendrement affectueux à la plus aimée. Son Louis à Elle.

[Au recto, sous l’image : 1e dimanche, oui, par hasard les Boches sont calmes ! C’était au début de notre villégiature.]


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On retrouve dans la lettre du caporal Rosset-Bressand ces remarques générales et patriotiques sur le conflit, accompagnées de notations plus prosaïques et personnelles. Quand il évoque «une nouvelle grande bataille russe » il fait très probablement allusion à  la bataille de Lodz qui a eu lieu du 11 novembre au 6 décembre 1914 qui a succédé comme victoire russe à la bataille de la Vistule du 29 septembre au 1er octobre 1914. On est encore visiblement à l’époque du mythe du « rouleau compresseur » russe auquel se rattache encore le caporal Rosset-Bressand « ils sont vraiment épatants, les précieux et braves alliés ». Son patriotisme se retrouve aussi dans sa remarque sur la partie de la France envahie et occupée par les Allemands : « Valenciennes, autre martyr du cher Hainaut ». Mais les contingences plus matérielles et personnelles ne sont pas oubliées : les irrégularités de la poste militaire, les petites critiques, gentilles, à la famille à qui on recommande d’utiliser des lettres plutôt que des cartes et dont le caporal moque un peu la méconnaissance de ce qu’est la réalité du front (épisode du photographe). Enfin la lettre n’est pas sans montrer un certain humour : « c’était au début de notre villégiature ».

29 novembre 1914, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Dimanche 29 novembre 1914

Je viens de recevoir à l’instant mon maillot et une lettre du 19. Je suis heureux de te savoir en bonne santé, mais je suis encore bien ennuyé de savoir que Reims a souffert encore le 24. Si la situation continue vous n’avez qu’à partir car votre vie avant tout. C’est décourageant de voir que l’on laisse des femmes ainsi. Quand on prend leur mari ou fils pour défendre les intérêts communs. Bon baisers petite aimée et reçois un gros gros bec. Bons baisers à la brave Suzon. Ton petit homme qui t’embrasse bien fort.


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Dans cette carte Lucien Pinet fait allusion au bombardement que Reims a subi dans la nuit du 23 au 24 novembre 1914 et qui a été particulièrement violent (comme le note Lucien Hess dans son journal : « la nuit passée a été épouvantable : le bombardement commencé à 10 heures du soir n’a cessé qu’à 5 heures ¼ ce matin. Les obus arrivaient par rafales de 2, 5 et 6 simultanément »).  Il est intéressant de noter l’amertume du soldat que la patrie a appelé mais qui ne prend pas soin de sa famille restée dans une ville bombardée. On peut constater d’ailleurs chez Lucien Pinet un ton différent de celui que l’on trouve chez le caporal Rosset-Bressand, et en particulier l’absence de remarques patriotiques ou portant sur le conflit lui-même. Cela peut venir de la différence de milieu et de formation intellectuelle mais aussi de leur différence de situation familiale : Lucien Pinet s’inquiète pour sa famille restée à Reims, donc sur le front, alors que la famille du caporal Rosset-Bressand, elle, est à plusieurs centaines de kilomètres des lieux de combat et donc hors de tout danger.

1er décembre 1914, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Dime mardi 1e décembre 1914

Petite femme

Je réponds à ta lettre du 19. Je ne comprends pas que tu puisses croire que je souffre de la faim et du froid ne crois pas cela car si je me trouvais à Reims je pourais te nourir ainsi que ta famille et la mienne ne pouvant le faire pour vous j’en nouries d’autres. J’ai ton chandail et ton chocolat. Quand autrefois je te disais que notre plus grand amour était pour ce qui ne nous appartient pas tu commences à en ressentir les effets tu es comme moi, c’est un exemple pour plus tard. Je vois mal l’émotion que tu peux avoir eu lors de l’accouchement de madame Bougi, tu es beaucoup plus forte que cette petite femme et sans me donner de gants j’ai une autre constitution que son époux, surtout s’il se mêle d’en commander deux.

Si d’ici quelques temps la situation n’est pas changée je crois que vous pourriez évacuer d’ailleur à ce sujet je n’ai pas de conseil à te donner vous savez mieux que moi ce que vous avez à faire surtout dans ta position. J’envoie à ma petite Suzon bien des félicitations pour son sang froid car il ne faut que ça Suzon bravo. J’espère que maman Picard ne souffre pas trop avec ces reins qu’elle se tienne bien chaud c’est le principal. Je plains la cousine Marguerite d’être en ce moment si critique auprès de son mari malade, remercies bien de ma part ta tante Georges et les petites cousines de penser à moi dans un milieu si calme, envoies leur le bonjour de ma part et mes amitiés ainsi qu’à Marguerite et son mari.

J’ai mis hier une lettre pour Halary à la poste que j’ai recommandé ce doit être pour "la Ste Lucie" sa petite femme qui est forte paraît-il son Georges t’envoie ses amitiés et j’y joins les miennes avec tous mes souhaits. Qu’est devenu Paul Laplanche et quand le mari de Marguerite retourne t-il au feu. Les Boches bombardent en ce moment Rupt-en-Woëvre et j’ai peur pour les copains.

J’espère petite aimée que tu ne souffre pas trop que tu sauras vaincre ton ennuie et que malgré mon absence tu sauras te rendre digne d’une mère courageuse car je crains fort ne pouvoir être présent pour ton accouchement. Je termine en t’envoyant bien et beaucoup de sincères baisers et en te disant courage patience et résignation devant tant de souffrances endurées.

 Embrasses toute la famille pour moi et à Suzon un gros bec. A toi ma chérie un ardent baiser d’attente. 

J’attends un paquet de Jane.


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Lucien Pinet, dans cette lettre à son épouse, commence par dissiper les inquiétudes de cette dernière concernant sa situation matérielle : il ne souffre ni du froid ni de la faim. Quand il dit nourrir d’autres familles il fait probablement allusion au fait que les soldats aident assez souvent des civils qui vivent à proximité du front. Il cherche aussi à rassurer sa femme qui doit accoucher bientôt et prend des nouvelles de la famille. La situation particulière de Reims transparaît à travers le dilemme : faut-il partir ou rester dans la ville bombardée ? Lucien Pinet, dans un deuxième temps s’inquiète du sort de ses camarades, qu’il s’agisse de Rémois mobilisés comme lui ou de ceux de son régiment stationné à ce moment-là à Rupt-en-Woëvre, près de Verdun.

6 décembre 1914, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Dimanche 6 décembre 1914

J’ai reçu une charmante lettre de toi hier elle était du 24. Je suis heureux de lire et de te savoir assez bien portante quoique ta vie souterraine. Bonjour chez toi et bons baisers à Suzon Marthe maman et Papa. Et à toi de ton petit homme un bon gros bec de consolation et de courage.


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Dans cette lettre, Lucien Pinet évoque la « vie souterraine » que mène sa femme comme beaucoup d’autres Rémois qui, lors des bombardements, s’abritent dans  les caves des maisons individuelles ou des immeubles, voire dans celles des grandes maisons de champagne. Mais il ne faut pas se méprendre : la plupart du temps, le recours à la cave n’est que temporaire, pour quelques heures ou pour une nuit même s’il existe des situations plus pérennes comme celle du propriétaire de la maison de champagne Abelé qui s’est fait installer un confortable appartement dans ses caves. Enfin, il ne faut pas oublier que tous les Rémois n’ont pas forcément accès à une cave !

15 décembre 1914, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

15 décembre 1914

Mad chérie

Merci de la pensée, j’ai écrie à ta tante aujourd’hui, je reçois toutes tes lettres. Je t’enverrai une lettre demain peut-être mon tour viendra aussi pour aller à Reims seulement je suis un peut loin en ce moment. Embrasses tes Parents et Suzon à toi un gros bec.


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Lucien Pinet fait allusion à une éventuelle venue à Reims. Mais à la date de la lettre, 15 décembre 1914, il ne s’agit pas encore du système officiel de permissions. Celui-ci ne sera mis en place qu’à partir du 1er juillet 1915, avec une semaine de permission tous les 4 mois passés au front.

17 décembre 1914, Carte postale de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Jeudi 17 décembre 1914 

En ce jour de Noël reçois de ton petit homme de bons baisers aussi puissants que nos 155 et moins dangereux encore que le 77 boche. Bons baisers à tous. 

[Au recto : A Madeleine chérie campagne 1914]


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Il y a manifestement un problème avec la date ! Ces vœux de Noël sont bien dans l’esprit des cartes postales « patriotiques » de l’époque. En outre, on voit bien qu’elles viennent d’un artilleur ! Le 155 (diamètre du canon en millimètres) français est un canon à tir rapide qui équipe l’artillerie lourde de campagne. Le 77 est un canon allemand équivalent au 75 français.

20 décembre 1914, Carte de P. Hêche à son camarade Pierre Cuzin

Le 20 décembre 1914

Mon cher pierre,

Je reçois ta carte la veille de rentrer à Marmande, nous sommes en marche depuis 8 jours et n’arrivons que demain, c’est avec le sac chargé qu’on traîne la grolle enfin on arrive et c’est pas trop tôt. Je ne sais si je vais rester pour la cl. 15 ou si je partirai au front dans 2 ou 3 jours, je serai fixé et te l’écrirai. Gillet va au 32e à Montélimar. Nous sommes presque tous cabos. Je ne t’en dis pas plus long pour le moment si ce n’est que Truffy et Rozet sont en Belgique ; Je t’écrirai dans 2 ou 3 jours, je t’envoie une cordiale poignée de main. P. Hêche caporal au 20 e d'infanterie.


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23 décembre 1914, Carte de P. Hêche à son camarade Pierre Cuzin

Marmande 23 décembre 1914

Mon cher Pierre

C’est avec grand plaisir que j’ai reçu ta carte, au moment où nous étions en route pour Marmande où on nous a fait rentrer à pied en 7 étapes. Ca a été dur mais on l’a fait quand même. Les Bleus 1915 sont partis dans un camp ; moi je reste ici encore avec des auxiliaires et d’anciens réformés que l’on instruit ; je ne sais quand est-ce que j’irai au front, dans le courant Janvier probablement, on ira voir un peu ces Boches en attendant d’aller les combattre. Hier j’étais de garde avec 12 poilus pour garder les prisonniers qui sont ici : ils ne se font pas trop de bile. Ils sont peut-être plus heureux ici que là-bas. Gillet est à Montélimar. Tes parents m’ont écrit ils vont bien. Des autres copains je n’en ai pas de nouvelles. J’ai écrit à Devize. Quelle tête fait-on quand les balles sifflent aux oreilles ? il vaudrait mieux faire sauter le champagne au pied de la croix avec Truffy ? ou bien encore voler une jeune poule bien tendre à tes parents ! Enfin ce temps reviendra peut-être ; je te souhaite une bonne année, démolis les Boches mais ne te fais pas choper, c’est la principale des choses. En attendant le plaisir de te relire, donne le bonjour à Louis quand tu lui écriras et reçois avec mes souhaits de bonne année une cordiale poignée de main, ton camarade.

P. Hêche caporal 20e d'infanterie 30e compagnie Marmande


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Cette lettre est envoyée à Pierre Cuzin par un de ses camarades d’Irigny dans le Rhône (qui est, rappelons-le la commune de naissance de Pierre Cuzin). Ce camarade est à ce moment à Marmande, dans le Lot-et-Garonne, donc loin du front (même s’il doit bientôt y être envoyé). C’est probablement un fantassin comme le laisse penser l’allusion à la longueur et à la difficulté des marches (que le soldat doit faire avec le sac réglementaire qui pèse une trentaine de kilos). Cette lettre nous permet de saisir les besoins en hommes croissants que connaît l’armée française, après les énormes pertes de l’été et de l’automne1914. La lettre évoque les « bleus de la classe 1915 », c’est-à-dire les jeunes conscrits nés en 1895. Mais elle parle aussi « d’auxiliaires et d’anciens réformés ». En temps de paix, les conseils de révision ajournent ou exemptent certains jeunes (problèmes de santé, petite taille). Ceux qui sont déclarés aptes mais qui n’ont pas la constitution physique pour se battre sont versés dans les services auxiliaires (pour effectuer des tâches administratives par exemple). Mais avec le conflit et ses besoins en hommes, la situation change. Les conditions d’exemption deviennent beaucoup plus draconiennes à partir de la classe 1915. De plus, un décret du 9 septembre 1914 oblige à repasser devant les conseils de révision tous les réformés ou exemptés de la classe 1914 et des classes précédentes. Le 26 septembre, un autre décret décide le même processus pour ceux qui avaient été versés dans les troupes auxiliaires. Du coup un nombre importants d’anciens exemptés ou d’anciens auxiliaires sont déclarés bons pour l’armée et versés dans les unités combattantes après une instruction militaire. L’utilisation du terme « poilu » dans cette lettre de décembre 1914, de plus pour désigner des soldats qui, à l’arrière, gardent  des prisonniers et doivent être probablement des territoriaux (soldats les plus âgés), montre bien que le mot n’est pas né, contrairement à ce qui est parfois avancé, avec la guerre de tranchées (même si il y a pris un nouvel essor) mais qu’il est antérieur (attesté déjà sous le Premier Empire).  Concernant les « prisonniers » évoqués dans la lettre, Marmande possède effectivement un camp d’internement regroupant des civils allemands  « piégés » en France par la déclaration de guerre (Ces camps d’internement de civils sont installés essentiellement dans le sud et le sud-ouest de la France). 

29 décembre 1914, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mardi 29 décembre 1914

Petite femme

Je suis en bonne santé et j’espère que tu es de même. Comme je vais partir pour quelques jours je viens te dire un petit bonjour et t’envoyer de bons gros baisers. Mon pied va mieux. Embrasses la famille pour moi et reçois de ton petit homme un baiser de patience de courage et d’espérance.


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4 janvier 1915, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Lundi 4 janvier 1915

 Mad chérie 

Quoique je sois très pressé je veux avant de partir à la distribution te dire un petit bonjour surtout que les gros noirs tombent sur le patelin où je ravitaille mais l’obus ou la balle qui doit me tuer n’est pas encore faite et tu sais ils n’ont font plus beaucoup et peut-être qu’ils m’oublieront. Bons baisers de ton petit homme Lucien.

Dans cette courte lettre de Lucien Pinet à sa femme, on trouve à la fois le danger, représenté par « les gros noirs », c’est-à-dire les obus mais aussi la volonté de conjurer le sort, « la balle ou l’obus qui doit me tuer n’est pas encore faite ».

4 janvier 1915, Carte du caporal Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

A l’armée, ce 4 janvier 1915

Ma Mad chérie

Encore rien de toi au courrier d’hier ! serais-tu malade ? Non, j’écarte bien vite de moi cette idée et veux simplement mettre sur le dos des PTT ce retard qui me prive tellement beaucoup. Mr Ariat m’a envoyé une aimable carte à laquelle je fais une concise réponse. Didier m’a aussi écrit, nos vœux se sont croisés ; il est dans les tranchées le pauvre diable, comme les camarades : un jour dans le boyau, 1 jour au demi-repos ; pour nous il y a une variante, c’est quatre jours dans les trous et quatre jours à deux kilomètres à l’arrière. Je m’empresse de te dire que mes fonctions m’arrachent constamment à ce séjour terriblement dur et déprimant pour la santé ; c’est pourquoi je puis supporter l’hiver humide et pluvieux et venteux qui rend plus triste encore cette campagne. Le colis Jonzaquais contenait trois chaudes paires gants pieds (je suis meublé confortablement) et des gourmandiseries appréciées.

Je t’ai fait savoir que le fils Pradel m’avait octroyé un aimable morceau de prose, je n’ai guère le temps de l’en remercier pour l’instant, j’espère qu’il passera une bonne partie de sa convalo à Rib. et qu’il pourra ainsi servir un peu notre cause.

Le colis de cette bonne Charlotte contenait, pour duplicata je bisse, des marrons glacés et des chocolats amande de sa fabrication. Vous gâtez beaucoup vos grands gosses de grognards qui ne peuvent reconnaître vos gracieusetés autrement qu’en vous témoignant un peu plus vivement leurs sentiments constants d’affection ou d’amour !

Il pleut, il pleut… jadis il neigeait mais alors c’était l’aigle de France qui courbait la tête aujourd’hui l’aigle noir d’Allemagne bat de l’aile !

Beaucoup de baisers autour de toi, à Jonzac comme à Barbezieux et conserve, petite Mad chérie, l’image de qui t’adore au fond de ton cœur, la tienne tient le mien tout entier.

Il s’agit d’une lettre de Léon Rosset-Bressand à son épouse. On voit au début de la lettre l’importance pour le soldat de recevoir des nouvelles de ceux qui lui sont chers. Le courrier joue un rôle considérable dans la Première Guerre mondiale. Jamais on ne s’est autant écrit. L’armée met d’ailleurs des moyens considérables pour traiter cette masse de courrier, expédié gratuitement en franchise militaire. Le bureau central de la Poste militaire,  installé au Conservatoire National de Musique à Paris, traite chaque jour un volume estimé à 4 millions de lettres. Les paquets, évoqués aussi dans cette lettre, jouent aussi un rôle-clé dans la vie du soldat. 200 000 paquets, en moyenne, sont expédiés chaque jour avec des pics certaines journées (600 000 paquets le 31 décembre 1915). Ce courrier nous indique aussi comment fonctionne le système des tranchées. Les soldats restent un certain temps dans la tranchée de première ligne (4 jours pour Rosset-Bressand, ce qui correspond à la moyenne) puis sont relevés et vont en repos (ici 4 jours aussi) à l’arrière-front où sont installés les cantonnements de repos et les réserves logistiques. On ignore quelles sont ces « fonctions » (agent de liaison ?) qu’évoque le caporal Rosset-Bressand et qui lui permettent de quitter la tranchée mais en tout cas, il vit cela comme un privilège. On retrouve dans les formules le patriotisme de Rosset-Bressand mais aussi sa culture évidente : la formule « jadis il neigeait mais c’était l’aigle de France qui courbait la tête » est, selon toute vraisemblance, une allusion au poème de Victor Hugo sur la campagne de Russie de Napoléon Ier  (l’expiation, dans les Châtiments).

6 janvier 1915, Carte postale envoyée par un poilu à sa femme

6 janvier 1915

Chère petite femme

Voilà deux soirs que j’attends une nouvelle de toi et rien, m’aurais-tu oublié, où tes lettres seraient-elles restée en retard. Je t’ai écrit le 4, ta dernière lettre est celle du 27. Du moins il vaut mieux que ce soit moi que toi qui ne reçoive pas car si c’était toi tu croirais qu’il m’est arrivé quelque chose, tandis que moi je sais où tu es, il n’y aurait que ton état de santé qui pourrait m’inquiété. Je te dirais que nous avons très bien passé notre jour de l’an, c’était deux heures du matin quand nous nous sommes couchés, et si près des boches. Je te dirais que nous avons un temps affreux voilà 3 semaines que nous sommes à Villers-Franqueux, les tranchées ainsi que les gourbi sont pleins d’eau et les hommes obligés de passer la nuit dehors sont dans un état piteux, couchés dans l’eau, et jamais les vêtements sont secs, ils sont en boue des pieds à la tête. En 1870 c’était le froid cette année c’est aussi cruel, et entre nous tous il n’y en aura pas un qui ne se sentira pas de quelques chose.

Villers-Franqueux est une commune proche de Reims, située dans le canton de Bourgogne. Cette lettre nous donne encore une fois un aperçu de la guerre de tranchées : la proximité de l’ennemi ; la boue, le froid. Le gourbi (habitation sommaire) désigne, dans l’argot du combattant, un abri dans la tranchée.

9 janvier 1915, Lettre de Louis Cuzin à son fère Pierre

Le 9 janvier 1915  

Mon bien cher Pierre

Je t’écris pour te dire que je suis toujours en repos et je ne sais pas quand nous allons recommencer les hostilités.

Mon cher Pierre je te serais reconnaissant que tu m’écrives un peu plus souvent. Je ne reçois pas beaucoup de correspondance et tu sais comme on attend les lettres avec impatience ?

Dis-moi ce que tu deviens. Est-ce que les soldats de la cl. 1914 marchent avec tout le Bataillon ? Est-ce que tu as déjà vu le feu ? Est-ce que tu es bien couché ? As-tu une grange ? Prends bien des précautions c’est le principal. Dis-moi si ton bataillon a subi beaucoup de pertes depuis la guerre. Est-ce que tu suis toujours le peloton des élèves caporaux ? Si tu peux rentrer comme musicien ou même clairon ça t’irait bien car c’est ta spécialité.

Mon cher Pierre, j’ai reçu de la maison pour mes étrennes un colis où se trouvait un saucisson et des bonbons, ça m’a fait plaisir et ça m’a rappelé notre vieux pays d’Irigny.

De plus, ils ont eu la bonté de m’envoyer un mandat de 10 francs mais mon cher Pierre en qualité de cuisinier je n’ai pas grande dépense à faire aussi l’argent ne m’est pas nécessaire.

Toi au contraire tu dois te priver de bien des choses, aussi quand tu pourras te faire rapporter quelque chose par un cycliste, fais-le. Je vais donc te mettre dans ma lettre les 10 francs qui ne me sont pas utiles. Je ne pense pas que la poste interdise l’envoi de billets. Et puis de combattant à combattant la chose est permise car tous les deux nous défendons le sol sacré de la patrie ! Ah si je tenais Guillaume comme je voudrais le posséder !

Mon cher Pierre, je n’ai pas de nouvelles sur les amis. Henri Mornon est disparu. Ch. Bouillon est au 235e.

Tu me feras une longue lettre et tu me diras si tu auras reçu ma lettre et l’argent. Procure-toi une lampe électrique si tu peux : moi je vais en acheter une.

En attendant le plaisir de t’embrasser je t’envoie un bon baiser. Ton vieux frère qui t’aime et qui ne t’oublie pas. Courage, espoir, victoire.

Dans cette lettre de Louis Cuzin à son frère Pierre, on retrouve la sollicitude de l’aîné pour son cadet et les inquiétudes qu’il nourrit à son égard, inquiétudes portant sur les aspects matériels de la vie du soldat mais aussi sur le risque d’être tué (qui transpire à travers la question sur les pertes subies par le bataillon). Louis Cuzin est cuisinier ce qui lui donne de petits privilèges pour la nourriture ; il donne à son frère les 10 francs envoyés par les parents pour que Pierre améliore son ordinaire. Le soldat peut effectivement, s’il en a les moyens financiers, acheter dans des villages traversés, voire à des commerçants itinérants, les menus objets dont il a besoin ou des suppléments de nourriture propres à améliorer la nourriture de l’intendance.

14 janvier 1915, Carte d'Henri Pourrot à Pierre Cuzin

Dieulefit 14 janvier 1915

Cher Pierre Cuzin

Merci de votre aimable carte du 6 courant que je reçois ce jour. Je suis en bonne santé et je vous espère et souhaite de même. Par ici, nous ne sommes pas bien mal ; il y a mieux, mais il y a aussi bien plus mal que nous. J’ai reçu hier, une carte de votre père qui m’a bien fait plaisir ; cela montre que l’on ne s’oublie pas mutuellement. Je ne suis plus à l’instruction de la classe 15 ; je suis maintenant caporal adjoint au fourrier, donc au bureau, où j’ai parfois même trop chaud. Enfin c’est un service qu’il faut faire comme un autre, puisqu’on choisit de préférence dans les plus vieilles classes pour cela. Je vous souhaite bon courage et surtout bonne chance, que le sort vous favorise et vous réserve un heureux retour au pays, où il fera bon le fêter tous ensemble dans la joie. Agréez cher Pierre, mon meilleur souvenir et très cordialement je vous serre la main.

Cette carte postale est expédiée à Pierre Cuzin depuis Dieulefit, dans la Drôme. Il est permis de penser que l'expéditeur est une personne plus âgée que lui et mobilisée probablement dans la territoriale. Ce n’est pas un combattant du front. Il a instruit la classe 1915 (soldats nés en 1895) et est maintenant caporal adjoint au fourrier au 252e régiment d'infanterie, c’est-à-dire une tâche administrative (il travaille dans un bureau). Le fourrier est un sous-officier (ici, ce doit être un sergent puisque l’auteur de la lettre, caporal, est son adjoint) chargé de l’intendance. On peut déceler une sorte de mauvaise conscience de cette situation privilégiée (bureau surchauffé) par rapport aux conditions de vie dans les tranchées. Mais il justifie cela par la nécessité de sa tâche (« c’est un service qu’il faut faire comme un autre ») et par son âge (« puisqu’on choisit de préférence dans les plus vieilles classes pour cela »).

16, 21, 23, 25 et 28 janvier 1915, Cartes de Louis Cuzin à son frère Pierre

Le 16 janvier 1915 

Mon cher Pierre 

Deux mots pour te dire que nous sommes en première ligne aux environs de Soissons. Je puis t’assurer que la lutte est difficile car l’Aisne augmente et on est dans la boue jusqu’au ventre. Ah mon cher Pierre la guerre finira-t-elle à notre avantage ? Vivement la victoire que nous puissions fêter ce retour. Ton frère qui t’embrasse

Le 21 janvier 1915

Cher Pierre

Je viens te dire que ma santé est excellente. Je pense que pour toi tout va bien. Voilà déjà plusieurs jours que je n’ai pas reçu de tes nouvelles et je commence à me demander ce que tu peux devenir. Je viens de recevoir un petit paquet de la maison où il y avait de la teinture d’iode.

Nous sommes un peu en arrière de Soissons au repos et nous nous portons où il y a du danger. Je n’ai pas beaucoup de nouvelles à t’apprendre. Tout va bien. Courage et espoir. Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse.

Le 23 janvier 1915

Mon bien cher Pierre

Une fois de plus, mon cher petit, je viens te tracer quelques lignes pour te dire que ma santé est excellente. Tout va bien pour moi pour le moment. 

Seulement ce qui m’ennuie, c’est de savoir que tu n’as pas de couverture ni de manteau. Mon pauvre Pierre, tu dois souffrir beaucoup du froid mais je t’en prie débrouille-toi. Tâche d’en trouver une à une caserne, à un habitant ou bien aux voitures ! A la guerre il faut prendre quand on n’a pas car tu travailles pour le pays, il est juste que le pays puisse te nourrir !!

Mon pauvre Pierre nous avons pris part dernièrement aux combats aux environs de Soissons mais ça s’est bien terminé puisque je suis encore de ces vieux restants.

Mon pauvre Pierre, toutes tes lettres me reviennent, tu sais celles que je t’avais envoyées par le dépôt d’Annecy, tu crois que ce n’est pas dégoûtant ! 

Mon vieux Pierre je viens de recevoir une longue lettre de la maison ; les nouvelles ne sont pas mauvaises, mais ils commencent par trouver le temps long.

En ce moment, nous sommes toujours dans la région de Soissons mais nous sommes un peu en arrière. Nous sommes brigade volante et nous nous portons là où il y a un coup de main à donner !

Je suis toujours cuisinier. Je t’assure que je ne m’en vois pas mal mais malgré cela je tiens à conserver mon petit filon car je suis tout de même un peu tranquille et je suis exempt de garde et d’exercice.

Le 35e n’arrête pas une minute mais c’est bien partout la même chose. Tu me diras si tu as pu retrouver un manteau et une couverture !

Moi si je pouvais t’envoyer le mien je le ferai mais c’est difficile. J’ai trouvé un manteau d’alpin à un blessé qui n’en avait plus besoin du 47e alpins. Je t’assure que ça vaut mieux que nos sales capotes.

Mon vieux Pierre que fais-tu ? Tâche de t’embusquer quelque part. Au régiment il faut demander pour avoir ! Demande un manteau et une couverture à ton sergent et s’il le faut à ton capitaine.

Ecris-moi mon vieux Pierre. Prends du courage car nous reviendrons tous les deux en bonne santé. Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse bien fort. Courage et espoir.

Le 25 janvier 1915  

Mon bien cher Pierre

Je viens de recevoir 10 lettres que je t’avais envoyées par le dépôt d’Annecy ; toutes m’ont été retournées, c’est pourquoi tu n’avais jamais de mes nouvelles. Jusqu’à présent tout va bien ! Et toi mon vieux Pierre, as-tu trouvé un manteau d’Alpin et une couverture ? Ah, si tu pouvais venir au 35e tout marcherait bien. Enfin, il faut toujours avoir du courage et de l’espoir car je suis sûr que nous nous reverrons tous pour fêter le retour ! J’ai de bonnes nouvelles de nos bons parents. Ecris-moi souvent. Je t’écris tous les 2 jours. Courage et espoir. Ton frère qui t’embrasse.

Le 28 janvier 1915

Mon bien cher frère

Deux mots pour te dire que je suis en bonne santé. Je viens de recevoir une lettre de toi datée du 22. Je suis heureux que tu te portes bien mais ce qui est ennuyeux, c’est ce froid pénible !

Il faut toujours conserver l’espérance car je suis sûr que nous nous retrouverons tous les deux en bonne santé pour fêter la victoire. Je n’ai pas de grandes nouvelles du pays. Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse bien fort.

Nous commentons en une seule fois la série de cinq lettres envoyées par Louis Cuzin à son frère Pierre entre le 16 et le 28 janvier 1915.  Le rythme de ces lettres est à rapprocher de de la situation du 35e régiment d’infanterie auquel appartient Louis Cuzin. Le régiment combat dans des conditions difficiles (« l’Aisne augmente et on est dans la boue jusqu’au ventre ») du 12 au 19 janvier 1915 aux abords de Soissons, ce qui explique que Louis Cuzin ne peut envoyer qu’une lettre le 16.  Puis du 19 au 30 janvier, le régiment est au repos dans la région de Montgobert, une commune de l’Aisne près de Villers-Cotterêts. Louis Cuzin peut alors écrire plus fréquemment. Nous retrouvons l’importance du courrier, déjà évoquée, pour le moral du combattant et les plaintes de ce dernier lorsqu’il existe des dysfonctionnements (les lettres retournées à l’expéditeur par le dépôt d’Annecy). Ces lettres, sont aussi à nouveau, un indice des insuffisances de l’intendance française dans cet hiver 1914-1915. Ainsi Louis Cuzin exhorte-t-il son frère à se procurer une couverture (les « voitures » auxquelles il fait allusion sont probablement des véhicules de l’intendance). Pour ce qui touche les uniformes, nous sommes à un moment de transition où le nouvel uniforme bleu horizon est encore très loin d’entrer en dotation. Du coup, les poilus sont forcés de recourir au système D. Louis Cuzin a récupéré le manteau d’un blessé du 47ème alpins (il s’agit du 47ème bataillon de chasseurs alpins, mobilisé à Draguignan, et qui à cette date combat effectivement sur l’Aisne avec la 47ème division d’infanterie). Cette pièce vestimentaire (les chasseurs alpins sont dotés d’un grand manteau à capuchon) ne correspond en rien à l’uniforme officiel du fantassin mais se révèle infiniment plus protectrice que les « sales capotes » dont sont équipés Louis Cuzin et ses camarades et qui doivent être les capotes totalement inadaptées (le modèle date de 1877) avec lesquelles l’infanterie est entrée en guerre en août 1914. Enfin les changements de mentalité entraînés par la vie au front transparaissent bien dans les conseils dispensés par Louis Cuzin à son frère : « au régiment, il faut demander pour avoir » ; « à la guerre il faut prendre quand on n’a pas car tu travailles pour le pays, il est juste que le pays puisse te nourrir ».

25 janvier 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Dime le 25 janvier 1915

Chère m’amour

J’ai reçu hier deux lettres du 18 une de ma petite femme une de Suzon, je la remercie en lui donnant un bon gros bec. Ta lettre Mad adorée est pleine de bons sentiments, de bonnes pensées chose que nous avons tous besoin dans notre situation. Et quel sont toutes ces impatiences tout ces mouvements nerveux que tu ne peux éviter, voilà qui est grave, est-ce que Mr Alberti a fermé son commerce ne peux-tu trouvé à acheter à Reims quelques banannes sans rien dire à personne et sans allée te faire tuer surtout c’est une idée que je te donne fais en ce que tu veux et penses à moi ou au petit celui que j’ai emporté. Pourquoi veux-tu que ton accouchement ne se passe pas bien avec une femme comme toi, après avoir passé des moments vraiment terribles tu arrives au huitième mois somme toute assez bien sans faiblesse et pourtant tu aurais pu accoucher avant terme ou être malade donc espérant que ça se passera bien d’ailleur je suis très heureux d’avoir cette photo où toi et Suzon vous vous portez bien. Suzanne est grandie et toi grossie dis au petit de rester tranquille sans quoi que son papa lui donnera une petite fessée : il est vraie que ce monstre se moquerait bien de moi en ce moment car il est chez lui moi je crois que ce petit diable viendra au monde en fesant un pied-de-nez à ceux qui l’attendront heureusement que je ne serai pas là ou sans quoi, nous aurions parti tout les deux en vrais copins faire un billard.

Enfin tu vas être contente car dans cette lettre je joins ma, ta gueugeule et tu vas être heureuse d’avoir ton petit homme sur un bout de papier. J’ai posé le 18 c’est un rémois qui a fait ma tête un nommé Huette violoniste au cinéma de la rue de Talleyrand avec Mme Martin.

Ne te fais pas de bile pour ma poche, si tu te souviens tu me l’as faite grande et elle est comme mon cœur jamais trop petite pour recevoir les doux souvenirs de mon aimée et mon cœur ses baisers.

Quand aux boches ce sont de véritables cochons, comme on ne peut les approchés en guerre, je leur ferais la guerre moi quand je serai rentré chez nous le premier que je rencontre en France je lui ferai bouffé la poussière. Penses que nos pauvres fantassins qui sont en première ligne n’en voient pas plus que moi qui est à huit kilomètres des boches, ils sont complètement terrés et ils se tuent sans se voir c’est dégoûtant.

Boucher le charcutier est mort ainsi que le petit Houdin le coureur en vélos de la fièvre thyphoïde.

Plus rien à te dire Mad chérie que pour le 16 février tu seras accouchée et que tu donneras à ton Toto un bon gros garçon qui sera très bien portant.

Embrasses toute la famille pour moi et surtout sois bien sage, es beaucoup de patience et de courage. Ton petit homme qui t’embrasse bien bien fort et pour la vie.

Ce n’est pas la peine de chercher une autre manière pour m’adresser ta correspondance. Pour me donner des renseignements sur ton accouchement, fais deux lettres une recommandée et une courante le télégramme est assez lent.

Dans cette lettre, Lucien Pinet se préoccupe bien entendu de l’accouchement de sa femme qui approche. Mais ce courrier nous donne aussi quelques indications sur la vie à Reims en ce début 1915. Beaucoup de commerces ont fermé (ce qui explique la question sur le « commerce de M. Alberti) et, à cause des bombardements allemands, on peut se faire tuer en allant faire ses courses même si les Rémois prennent davantage  de précautions qu’au début des bombardements (en septembre 1914, 251 civils ont été tués). La ville à ce moment ne compte plus que 35 524 habitants (recensement du 18 février 1915) contre 115 000 avant la guerre. Lucien Pinet évoque aussi la dure condition des fantassins dans les tranchées, lui comme artilleur, se trouvant à quelques kilomètres en arrière. Il tient aussi la macabre comptabilité des connaissances du couple qui ont été tuées, soit directement par les combats, soit indirectement comme le « petit Houdin, le coureur en vélos » mort de la typhoïde (le décès de ce dernier correspond à la période, d’octobre 1914 à février 1915, où l’armée française a effectivement connu une épidémie de cette maladie infectieuse, favorisée à la fois par les mauvaises conditions d’hygiène engendrée par la guerre de tranchées et par le fait que les mobilisés de 1914 ne sont pas vaccinés, le vaccin contre la typhoïde étant encore expérimental au début des années 1910. A partir de 1915, on vaccine massivement les troupes et le nombre de cas de typhoïde devient très faible, voire rarissime).

27 janvier 1915, Lettre de Jean Gillet à son camarade à Pierre Cuzin

La Batie Rolland

27 janvier 1915

Cher ami

J’attend toujours avec impatience de tes nouvelles pourtant je t’écris assez souvent donc fais-moi une réponse. Tu sais on barde fort en ce moment donc on ne veut pas tarder d’aller te rejoindre nous faisons 2  fois de tir par semaine on va a 3km d’Allan tu connais on fait 12km pour y aller. On fait aussi du service en campagne tous les jours. Nous faisons aussi des marches de nuit et de jour en un mot on ne s’arrête pas sauf le dimanche. On nous fait aussi sauter des haies et des fossés. A bientôt de tes nouvelles. Reçois une cordiale poignée de mains. Ton ami Jean Gillet 52e inf. 32e comp. 3e section, camp d'instr. de Montélimar (La Batie Rolland).

Cette lettre est envoyée à Pierre Cuzin, par un de ses camarades qui évoque l’entraînement militaire qu’il reçoit (Allan est une commune de la Drôme, son camp d'instruction est Montélimar) avant d’être envoyé au front.

1er février 1915, Lettre adressée Par J. Aujas à son ami Pierre Cuzin

St Amand 1er février 1915

Cher ami

Je t’écris cette lettre qu’il y a longtemps que je voulais t’envoyé de mes nouvelles mais j’ai du attendre quelque temps car je ne savais pas ce que tu était devenu depuis le 27/12 de l’attaque que l’on a fait au bois de Berthoval. Je te dirais que j’ai écris la semaine passé chez toi et tes parents se sont empressé de me donner de tes nouvelles car le temps commençais a me durer de toi car les amis sont les amis.

Cher ami, je te dirai que j’ai été blessé de l’attaque du 27 que tu sais a été des plus violente. J’ai été atteint à la cuisse droite par un scrapenel qui ma labouré l’arthère. On m’a opérer et maintenant je commence a allez un peu mieu mais ce n’est pas encore ça et j’ai encore la balle dans la peau car j’ai eu une hémorragie pendant l’opération.

Je suis dans le centre de la France à St Amand dans le Cher. On y est très bien dans cest hopital et bien soigner. Je te dirai aussi que j’ai passé a deux doigts de la mort. Verne a aussi été blessé mais plus légèrement que moi et il n’est pas avec moi il est a Chateauneuf.

Cher ami donne moi de tes nouvelles et celle d’Antonioz et celle des amis de la section. Le sergent médaillé je te dis comme ça parce que je me rappelle pas de son nom a été démobilisé.

Je remerci beaucoup ton père de m’avoir donné de tes nouvelles. Bien le bonjour aux amis et a Antonioz. Il doit y faire froid dans les Voges car il fait pas trop beau à St Amand.

A bientôt de tes nouvelles que j’espère seront toujours bonnes. Ton ami qui te serre affectueusement la main. J. Aujas. 11e chasseur en traitement a l'hopital n°57 a St Amand Montrond (Cher)

Dans cette lettre envoyée à Pierre Cuzin, son ami Aujas fait allusion à l’attaque du bois de Berthonval qui se trouve dans le Pas-de-Calais, au nord d’Arras et à l’ouest de Vimy. Joffre, en ce début de guerre de position, ne renonce pas aux offensives destinées à percer le front allemand. Mais elles se révéleront toutes des échecs extrêmement coûteux en hommes. En décembre 1914 est lancée une offensive d’hiver. En Artois elle est menée par la 10ème armée du général de Maud’huy du 17 décembre 1914 au 15 février 1915. Les premières attaques, à partir du 17 décembre, échouent en raison de conditions climatiques détestables. L’offensive reprend le 27 décembre et le 11ème bataillon de chasseurs alpins y est engagé. Au départ les Français réussissent à gagner un peu de terrain mais dès le lendemain une contre-attaque allemande réduit à néant l’avance française. J. Aujas est blessé par ce qu’il appelle un « scrapenel ». En fait il s’agit de l’« obus à balles » mis au  point par le Britannique Henry Shrapnel (1761-1842) et qui est encore largement utilisé au début de la première Guerre mondiale. Opéré, J. Aujas est envoyé à l’arrière à Saint-Amand dans le Cher. La lettre permet de voir aussi l’importance des camarades pour les soldats.

2 février 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Dime le 2 février 1915

Petite femme adorée 

Je viens te faire causette et pour te dire quoi je n’en sais rien mon amour, mon adoration pour ma petite femme chérie et c’est tout. J’ai reçu de la tante Georges un mandat carte de 5 francs j’ai payé un coup de vin à tous mes hommes et à la santé du petit Pinet.

J’ai reçu hier des nouvelles de Jane de Léon et de toi. Si le petit se montre si méchant c’est qu’il est bien portant, donc fais bien attention à toi, soignes toi autant que tu le pourras.

Pour nos projet d’avenir attendons la fin de cette affreux carnage et là seulement nous serons surs d’être là.

Je suis heureux que tu sois sage, car si le petit est méchant tu pourrais être comme lui et les personnes qui t’entourent en souffriraient, bravo Mad chérie car si la guerre t’a endurci tu fais une femme complète et je t’aime d’avantage. Tu veux une consultation de sage femme, moi je vais te la donner le petit viendra au monde pour le 16 de ce mois, je suis heureux qu’un médecin sera présent car il faut mieux tout prévoir.

J’ai reçu toute votre correspondance jusqu’au 24 janvier. Quand aux lettres ouvertent tu n’as pas bien lue ou j’ai mal exprimé, ce sont des lettres qui sont ouvertes à la poste de départ à Dime pour épier les militaires mais ça n’a existé qu’une fois ; mais toutes tes lettres sont bien fermées.

Très probablement mon chérie la réponse à cette lettre m’annoncera la naissance du chérubin tant attendu par tout deux et toute la famille. Oh ! Mad adorée à son Toto quelle joie pour moi, que d’occupations pour toi que ce petit être chérie de tout deux quel bonheur à mon retour que de pouvoir embrasser ce que nous amours aura fait naître quel bonheur dis mon chérie enfin patience et la fin approche.

Marcelle a du travailler pour le petit ainsi que Louise c’est bien malheureux que je ne sache pas faire de ces petits travaux ou sans quoi dans mes heures de repos, je lui ferai un petit truc aussi.

J’ai eu des nouvelles du père D. S., il est avec sa femme ainsi que son beau-frère lui dans le nord. Léon Delrue est allé à St Nazaire et Jane est allée le voir tant mieux mais vois-tu nous ne pouvons avoir cette chance là nous deux ça fait un mois qu’il est parti et déjà il en a assez et c’est compréhensible à son âge.

Embrasses toute la famille pour moi et pour toi Mad adorée un gros puis tout un régiment de gros baisers bien brûlants. Ton petit homme dévoué.

Dans cette lettre à son épouse Lucien Pinet évoque d’abord le mandat reçu qui lui a permis de « payer un coup de vin » à ses hommes (il est caporal et commande donc une escouade d’une dizaine d’hommes). La naissance de son premier enfantapproche et on sent bien qu’il souhaite un garçon (« le petit Pinet »). Lucien Pinet évoque aussi le contrôle du courrier envoyé par les soldats (« ce sont des lettres qui sont ouvertes à la poste de départ à Dime pour épier les militaires »). Dès le début de la guerre, le courrier est surveillé, trois interdictions majeures étant faites aux soldats ; préciser ses positions, dévoiler ses conditions de vie et transmettre des idées pacifistes. Chaque régiment est contrôlé au moins une fois par mois sur un échantillon de lettres et on estime à près de 180 000 le nombre de lettres ouvertes chaque semaine par les bureaux de la censure. Dans ce courrier Lucien Pinet fait aussi allusion à « l’artisanat de tranchée » pratiqué pendant leur temps de repos par les poilus habiles de leurs mains (« c’est bien malheureux que je ne sache pas faire de ces petits travaux ou sans quoi dans mes heures de repos, je lui ferai un petit truc aussi »). Enfin, Lucien Pinet évoque plusieurs connaissances qui se sont réfugiées hors de Reims pour fuir la ville bombardée. 

2 et 3 février 1915, Lettres de Louis Cuzin à son frère Pierre

Le 2 février 1915

Mon bien cher Pierre

Je t’écris pour te dire que nous sommes de nouveau en première ligne. Après beaucoup de détours dans des boyaux (tu sais comme c’est fait) nous sommes arrivés à ma petite baraque. Rien pour faire la cuisine, pas de bois jamais de ma vie je n’ai vu pareille chose. Enfin, il faut toujours conserver l’espoir car tout va bien puisque la santé est excellente. Je viens de recevoir des ampoules de teinture d’iode que j’avais demandé à la maison. Tout va donc bien pourvu que ça aille jusqu’au bout et jusqu’à la victoire. J’attends de tes nouvelles tous les jours. Je pense que ta santé est bonne. En attendant la fin de ce cauchemar et la victoire française je t’embrasse fraternellement.

Le 3 février 1915

Mon bien cher Pierre

Je t’écris pour te dire que ma santé est excellente et je pense que pour toi tout va bien pour le moment. Je viens de recevoir ta carte du 27, je serais content que tu aies retrouvé des couvertures. As-tu reçu des ampoules de teinture d’iode de la maison, il faut en demander ; en cas de blessure, tu en casse une et tu te mets un badigeonnage sur la plaie ; c’est plus commode qu’un flacon et elle se conserve meilleure. Nous sommes de nouveau sur le front. Je suis toujours cuisinier des sous-officiers du Colonel ; c’est tout de même un petit filon.

Je voudrais bien que tu sois avec moi, car le temps me dure beaucoup de te voir. Mon cher Pierre, il y a déjà quelques jours que je n’ai pas reçu des nouvelles de Ch. Bouillon. Quand tu auras des nouvelles de nos vieux amis, tu me feras signe. Le régiment creuse des trous pour faire sauter les tranchées Boches ; on ne voit que des boyaux partout. Enfin tu sais aussi bien que moi maintenant ce que c’est que la guerre. Dis-moi si les anciens te font des misères ; raconte-moi tout par une longue lettre. Ecris-moi bien souvent. Je t’embrasse bien fraternellement. Je t’assure que nous nous retrouverons en bonne santé. Ton frère qui t’aime.

Nous avons là deux lettres consécutives (ce qui montre bien l’importance que prend la rédaction du courrier pour le poilu) de Louis Cuzin à son frère Pierre. Nous retrouvons des éléments déjà évoqués : la position relativement favorisée de Louis avec ses fonctions de cuisinier (son « filon ») et son souci d’aîné pour son cadet, illustré par ses recommandations sur les ampoules de teinture d’iode  (antiseptique composé d’iode dissoute dans de l’éthanol). Louis Cuzin évoque aussi les tranchées de première ligne. Creusées à une profondeur de 2 mètres environ elles sont surmontées d’un parapet formé de sacs de sable. Ces tranchées de première ligne ont plusieurs fonctions : on y fait feu contre l’ennemi, c’est de là que partent les attaques des fantassins et, en cas d’attaque, c’est la première ligne de défense. Elles sont reliées aux tranchées de deuxième ligne par d’étroits boyaux. Il fait enfin allusion à la guerre des mines (« le régiment creuse des trous pour faire sauter les tranchées boches »).

4 février 1915, Lettre de H. Dominique à son copain Pierre Cuzin

Toulouse 4 février 1915

Mon cher Pierre

Je viens de recevoir une carte qu’on me renvoie, j’étais très étonné de ne pas recevoir de tes nouvelles.

J’ai changé de régiment, je suis au 14e à Toulouse pour former un Bataillon volant ou Bataillon de marche.

J. Gillet vient de m’envoyer ton adresse et je m’empresse de t’écrire. D’abord je vais partir au front dans 3 ou 4 jours. J’ai demandé à partir du 20e pour suivre les copains de mon escouade, car c’est des braves, qui ont déjà été au feu. Il vaut mieux de partir avec eux que de s’en aller avec des Bleus. Ci-joint la carte qu’on m’a renvoyé d’Annecy.

Il fait très beau à Toulouse, il y a des coups à tirer à tous les coins sombres, inutile de te dire que j’en profite.

Nous sommes prêts à partir, quand je serai sur le front je t’écrirai pour te dire où je suis.

J’espère que ton frère et tes Parents sont en bonne santé. Moi ça va toujours bien.

Toulouse est agréable cela me rappelle ma vie à Lyon.

Dimanche dernier j’étais à Bordeaux avec un copain, on a été chez les Parents, on s’est mis en civil, c’était plus chouette qu’en militaire…

Mon cher Pierre, je termine, je t’écrirai pour te donner ma nouvelle adresse dès que je l’aurai. Reçois une cordiale poignée de main, ton copain. 14e d'infanterie 2e compagnie 4e bataillon de marche.

Cette lettre provient d’un ami de Pierre Cuzin (il s’agit selon toute probabilité du « Dominique » évoqué dans le courrier du 9 février) qui est passé du 20ème au 14ème régiment d’infanterie. En fait, il s’agit de régiments proches par leur région de recrutement (le 20ème était caserné avant la guerre à Montauban, Marmande et Casteljaloux ; le 14ème était caserné, lui, à Toulouse) et par leur situation sur le front en ce début d’année 1915 (les deux régiments combattent en Champagne dans la région de Perthes-les-Hurlus). Ce changement a été demandé par le soldat lui-même, et cela pour deux raisons : l’amitié (« suivre les copains de mon escouade ») mais aussi pour limiter les risques du combat en demeurant avec des soldats aguerris («des braves qui ont déjà été au feu ») plutôt qu’avec des « bleus » sans aucune expérience du combat. A la date du courrier il se trouve à Toulouse mais s’apprête à remonter au front. Cette semaine à Toulouse est un peu vécue comme un retour à la vie civile, symbolisé par l’abandon pour  quelques heures d’un uniforme qui, en outre, pour ces soldats du rang est peu seyant et d’une qualité bien médiocre.

7 février 1915, Lettre de Pierre Cuzin à son cousin

Gérardmer 7 février 1915

Cher cousin

Je t’écrit deux mots pour te dire que je suis toujour en bonne santé et toujour au repos à Gérardmer, nous faisons toujour l’exercice et nous faisons toujour des marches ce matin nous avons été au tir enfin ils nous occupe pour qu’on ne reste pas sans rien faire.

Je t’envoie même temps que ma lettre ma photographie que tu pourras gardé en souvenir au cas ou je resterai par ici mais j’ai toujour espoir que la guerre finira bientôt et que nous la finirons dans la caserne de Gérardmer.

Louis ma écrit hier il est toujour en bonne santé, il est au repos et il est toujour cuisinier. Je pense que ma lettre vous trouvera tous en bonne santé. Ton cousin qui t’aime. Sur l'autre feuille je t'envoie la chanson du 11e.

La lettre est envoyée par Pierre Cuzin à un cousin. Il est en repos en arrière du front des Vosges à Gérardmer, ville de garnison importante avant la guerre (casernes du quartier Kléber). Le bataillon du 11e BCA après avoir été engagé en décembre en Artois (où Pierre Cuzin a été blessé), a été ramené début 1915 dans les Vosges. On retrouve ici le souci des soldats de se faire photographier. Mais deux sentiments sont aussi présents en arrière-fond : la crainte de la mort (« en cas ou je resterai par ici ») et l’espoir que la guerre finira bientôt.

8 février 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt lundi 8 févier 1915

Petite mère, 

Je viens répondre Mad chérie à la correspondance reçue hier. Deux lettres l’une du 31 janvier l’autre du 2 décembre, je vais te renvoyer l’enveloppe et l’entête car la lettre est à moi, je n’y comprends rien car l’enveloppe est daté du 1e février c’est extraordinaire.

Tes plaisanteries pour le petit me plaisent beaucoup et ton calme me donne un peu de sureté tant mieux et merci. Suzanne est épatante en boche cette transformation lui siet à merveille et elle d’un sérieux qui donne à réfléchir, mes compliments Suzon.

Je crois que quand tu liras cette lettre si le petit n’est pas arrivé il te fera bien souffrir car ce petit diable ne veut pas rester plus longtemps dans l’ombre il veut voir clair et être et vivre lui aussi les horreurs d’un bombardement. J’ai pris la garde cette nuit et j’y suis encore jusqu’à midi et c’est assis sur une selle et une couverture comme table que je tiens la jactance et le lieutenant qui pleure partout Pinet tu parles il ne faut pas sans faire et tout bonnement le laisser crier car quand il aura le gosier sec il ira boire un coup et moi aussi car mon échauffement me donne très soif mais tu sais l’eau est très bonne.

Tu embrasseras le petit pour moi puisque je ne peux le faire mais je me rattraperai à mon retour. Tu vois maintenant tu voudrais bien partir et le petit t’en empêche, mais si la situation n’est pas changée dans six semaine je crois que tu pourras partir avec le petit ça te fera du bien ainsi qu’au petit. Tu as mal enregistré ce que Mère a dit c’est les lettres que je lui adresse au lieu de les envoyer 4 rue Vauthier les adresser rue Tambour vois-tu ça mon amour que je suis l’homme a grosse tête je sais tout. Je n’ai pas encore vu Georges ce matin mais il va venir me voir pour me faire payer un litre il te donne le bonjour et sa femme aussi c’est un rude farceur va, mais c’est un bon camarade. Tu te moques de mon photographe crois-tu que les artistes restent sur le front, moi je n’y resterai pas.

Bons baisers ma petite femme chérie je t’aime de tout mon cœur et pour toujours surtout maintenant que tu vas me donner une occupation de plus vivre pour toi et mon enfant oui oui oui c’est ma seule préoccupation a toi mon cœur et tout moi. Sois bien sage mignonne et embrasse toute la famille pour moi sans oublier Suzon.

Lucien Pinet expédie de Rupt-en-Woëvre, où est stationné son régiment, une longue lettre à son épouse dans laquelle se mélangent en désordre au fil de la missive ses inquiétudes sur la situation de sa femme restée à Reims et quelques notations sur sa vie de soldat. Ses préoccupations familiales concernent évidemment la naissance imminente de son enfant et le fait que celle-ci interdit dans l’immédiat à sa femme de quitter Reims comme elle l’envisageait. Partir ou rester est d’ailleurs la question que se posent beaucoup de civils Rémois demeurés dans la ville bombardée, même s’ils sont de moins en moins nombreux (35 000 habitants en février 1915 contre 115 000 à la déclaration de guerre). Mais Lucien Pinet s’intéresse aussi à des éléments beaucoup plus triviaux comme une adresse mal comprise, ce qui lui permet un petite pointe de fierté masculine (« vois-tu ça mon amour que je suis l’homme à grosse tête je sais tout »). Mais il y a aussi la vie au front. Lucien Pinet l’évoque à travers des éléments partagés avec sa femme : le camarade George (probablement un Rémois), et la photo prise sur le front par quelqu’un qui, visiblement, ne devait pas être un professionnel. A ce propos, d’ailleurs, on sent l’amertume du simple soldat face à ceux dont les « qualifications» leur permettent d’échapper aux combats (« crois-tu que les artistes restent sur le front, moi je n’y resterai pas »). Mais il confie aussi à sa femme des impressions plus personnelles : les discussions vides de sens (la « jactance »), l’officier, pas tellement à la hauteur et envers lequel il exprime un certain mépris («le lieutenant qui pleure partout…le laisser crier car quand il aura le gosier sec il ira boire un coup et moi aussi »).

9 février 1915, Carte-lettre militaire de J. Gillet à Pierre Cuzin

La Batie Rolland, 9 février 1915

Cher ami

Je viens de recevoir ta lettre du 4 février ça ma fait plaisir de te savoir en bonne santé maintenant je reçois régulièrement tes lettres ou cartes. Je t’es écrit ce matin seulement comme tu me demande des nouvelles de Dominique je viens de recevoir une lettre il a changé de régiment il est au 14e inf 2e comp 4e Bataillon de marche Toulouse, il part pour le front ce matin. Je t’es écrit au secteur 141 je ne sais pas laquelle arrivera le plus vite. Brossard est au même secteur que toi au 97. Reçois une cordiale poignée de mains. J. Gillet 52 Infanterie 32e compagnie 3e section

Les secteurs dont il est question ici sont les secteurs de la poste aux armées.

14 février 1915, Lettre de Louis Cuzin à son frère Pierre

Le 14 février 1915

Mon bien cher Pierre

Je t’écris pour te dire que tout va bien pour le moment. Nous sommes toujours en première ligne, mais j’ai un petit coin à peu près tranquille où je peux faire ma cuisine.

Je reçois de bonnes nouvelles de la maison, mais je regrette quand même le bon vieux temps de paix où nous vivions tous heureux comme des princes.

Enfin, mon cher Pierre, il faut prendre patience car la guerre sera bientôt finie, espérons-le.

Rien de bien nouveau à t’apprendre. Dis-moi ce que tu deviens. Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse.

Dans cette lettre Louis Cuzin exprime sa nostalgie du temps de paix mais on sent bien aussi le ton du frère ainé qui exhorte son cadet à prendre patience.

15 février 1915, Lettre de Louis Cuzin à son frère Pierre

Le 15 février 1915

Mon bien cher Pierre

Je viens de recevoir ta lettre par laquelle tu me dis que tu es toujours à Gérardmer. Je pense comme toi mon pauvre Pierre et je voudrais bien être à la fin de la guerre, mais que veux-tu il faut de la patience. Je regrette que tu n’aies pas une photo pour moi, tâche d’en avoir une. Tu ne sais pas ce qu’il faut faire pour les poux, il faut acheter pour 6 sous d’onguent gris et tu te frictionnes les endroits qui te feront mal.

Je vois que les gros légumes sont courageux pour aller près du front mais s’il fallait aller dans les tranchées ce serait peut-être autre chose. 

Je n’ai pas grand nouveau à t’apprendre, car nous sommes toujours en première ligne. Je poursuis ma cuisine comme d’habitude en attendant la fin de la guerre.

Raconte-moi un peu cette petite vie militaire ; il faut toujours espérer nous retrouver. Surtout, il faut tout faire sans rien dire et prendre les choses du bon côté.

Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse.

Dans cette lettre de Louis Cuzin on voit que Pierre Cuzin, après sa blessure, est revenu dans son unité, le 11e BCA, qui stationne à ce moment dans les Vosges. On retrouve ici deux préoccupations récurrentes des soldats: avoir une photo des personnes aimées mais aussi arriver à se débarrasser des poux qui prolifèrent sur ces hommes vivant dans conditions d’hygiène pour moins précaires. Dans une lettre précédente Pierre Cuzin a dû lui raconter une visite d’officiers supérieurs, ce qui amène en réponse cette remarque assez sarcastique de Louis : « Je vois que les gros légumes sont courageux pour aller près du front mais s’il fallait aller dans les tranchées ce serait peut-être autre chose ». On a là le mépris du soldat du front pour ces officiers d’Etat-Major, bien à l’abri à l’arrière et qui ne partagent pas les dangers de la troupe.

16 février 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mardi 16 février 1915

Mad chérie 

Je ne puis te dire ce que je voudrai aujourd’hui car je pars en corvée toute la journée, mais aussitôt revenu je te ferais un brin de causette. Embrasses le petit pour moi et a toi un bon gros bec ton petit homme qui sans cesse pense a toi et pour la vie. Bonjour à tous.

Le terme de corvée désigne tous les travaux susceptibles d’être effectués par les combattants, au front comme au cantonnement. Les corvées peuvent être de nature très diverse : de cuisine, d’eau, de feuillées, de réparations, de barbelés.

17 et 19 février 1915, Lettres de Jean Gillet et Louis Cuzin à Pierre Cuzin

Le 17 février 1915

Cher ami

Je suis toujours en bonne santé et désire que tu en sois toujours de même. J’ai reçu ta lettre du 10 hier je vois que tu t’en fait point hier j’ai reçu une lettre de Brossard il se trouvait à Fraize il me mettait qu’il se trouvait à 2km de toi et qu’il devait aller te voir, ça du te faire plaisir si tu la revu. Cher ami hier j’ai reçu une très mauvaise nouvelle je pense que tu l’a reçu de ton père c’est la mort de notre ami Rozet espérons que ce soit une fausse nouvelle. Reçois cher ami une cordiale poignée de mains. Jean Gillet 52e inf.

19 février 1915

Mon bien cher Pierre

Je viens de recevoir ta carte par laquelle tu me dis que tu crois que ton bataillon pourrait aller à Paris pour parade. Je le souhaite de tout cœur, mais mon pauvre Pierre, il ne faut guère compter sur ces chances-là. Ici, mon cher Pierre tout va bien quoique nous soyions en première ligne et que le bombardement se poursuive avec acharnement. J’ai de bonnes nouvelles de la famille.

Il faut toujours conserver l’espoir car nous reviendrons tous les deux de cette guerre terrible. On est sans nouvelles de ton camarade Truffy depuis deux mois et Joseph Rozet serait paraît-il mort en Belgique.

Mon vieux Pierre bon courage et espoir. Donne-moi de tes bonnes nouvelles. Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse bien fort.

Ces deux lettres mentionnent la mort des camarades du temps de paix. Elles montrent aussi l’arrière-fond d’incertitude qui règne quant aux sort de certains combattants (« On est sans nouvelles de ton camarade Truffy depuis deux mois et Joseph Rozet serait paraît-il mort en Belgique »). A la date où les deux lettres ont été écrites, la guerre a déjà été très meurtrière. Fin mars 1915 le bilan est de 597 000 morts pour l’armée française (soit 43 % du total des 1 383 000 morts du conflit). Ces 597 000 morts représentent l’addition des 329 000 victimes des mois d’août et septembre 1914, les mois les plus meurtriers de la guerre, des 125 000 tués d’octobre et novembre.

19 février 1915, cartes postales photographiques de Louis à son frère Pierre Cuzin

Le 19 février 1915

Mon bien cher Pierre

Je t’envoie ma photo en guerrier en tenue de vieux combattant qui compte 7 mois presque entiers de guerre. Tu vois que ton frère a su se conserver jusqu’ici et je t’assure que je compte bien revenir.

En attendant de nous embrasser, accepte ce petit souvenir. Ton frère.

Le 19 févier 1915

Mon bien cher Pierre

Cette carte te représente ton vieux frangin en cuisinier. Comment me trouves-tu avec une louche ! Nous sommes en première ligne, mais cette photo a été prise au repos. Et toi que deviens-tu ? Des nouvelles. Ton frère qui t’embrasse et qui t’aime.

Un très grand nombre de photographies ont été prises par les soldats pendant la Première Guerre mondiale. Officiellement, l’usage des appareils photos est réglementé dans la zone des armées dès le début du conflit. Pour obtenir le droit d’utiliser un appareil personnel il faut obtenir une autorisation spéciale. En outre, à partir de 1915 est créée une Section photographique des Armées (SPA). Mais dans la réalité beaucoup de combattants (surtout des officiers) utilisent sans autorisation leur propre appareil.

21 février 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt dimanche 21 février 1915

Mad chérie

C’est dans une ambulance mais provisoire que ton Toto est vient te tenir conversation ne crois pas ma chérie que je sois bien malade, quoique chaque fois que j’ai le malheur de mangé je suis pris de vomissements qui me rendent bien malade car je croirais que mon cœur se décroche et pour ma guérison quoi faire.

Je vais être demain dirigé sur une ambulance d’évacuation à l’arrière laquelle je n’en sais rien, voilà cette fois le hasard mais vois-tu ma chère Lili pour mon pauvre estomac c’est un régime qu’il me faudrait et le meilleur régime serait notre petite vie ma bonne table avec de l’eau de Vichy ou autre après la guerre ce n’est pas un mois mais un an de traitement qu’il me faudra pour que ton pauvre petit homme redevienne ton Toto d’autrefois.

Je sais par tout le monde que tu as eu un courage digne d’une rémoise qui a et endure encore les souffrances du bombardement j’en suis heureux et fière car tu m’as donné ma chérie petite femme une petite fille superbe et la petite Mère me dit Suzon est très bien portante vivement que la fin arrive car je deviens complètement abruti rien ne sert de se plaindre puisque l’on ne peut rien y faire.

Tu remerciras Suzon des bonnes paroles que toujours elle m’a donné ainsi que toute la famille. Quand tu auras reçu cette lettre cesses de m’écrire tant que tu n’auras pas reçu mon autre adresse car toutes tes lettres flotteraient et très probablement elles seraient perdu. Ne te décourage pas mon gros chérie car je ne suis nullement en dangé les maladies d’estomac durant toute la vie je suis fatigué et c’est tout.

Continues à bien soigné la pauvre petite Gisèle car tout mes compliments 8h ½ c’est épatant surtout que ça s’est bien passé. Bons baisers mon gros chérie et tu donnes à ma petite Gisèle tout les baisers que son Père voudrait lui donner.

Je vous remercie des petits billets que vous m’avez envoyé et je termine en vous envoyant à tous de bons gros baisers d’amour et de remerciement.

A ma petite gosse et a toi un gros bec.

Lucien Pinet est malade et on sent son inquiétude même s’il essaie de la cacher. En fait, il souffre de troubles digestifs dont on ne semble pas connaître l’origine. Une ambulance provisoire est un poste de secours avancé au plus près du front où les blessés et les malades reçoivent les premiers soins avant d’être évacués vers des installations médicales plus à l’arrière. Le terme ambulance désigne  une installation médicale fixe mais aussi, par extension, le véhicule spécialisé servant au transport des blessés. Gisèle, la fille de Lucien Pinet est née, mais comme beaucoup de poilus éloignés de leurs foyers, ce dernier est forcé de déléguer à son épouse le soin de donner au bébé « tout les baisers que son Père voudrait lui donner ».

22 février 1915, Lettre de Louis Cuzin à son frère Pierre

Le 22 février 1915 

Mon bien cher Pierre

Deux mots pour te dire que ma santé est excellente et je pense qu’il en est de même pour toi. Nous sommes toujours au même endroit et je continue toujours ma cuisine malgré les balles et les obus.

Je pense que tu es toujours au même endroit et que tu es toujours plein d’entrain et de courage. Il faut espérer que la guerre finira vite car ça commence à devenir long maintenant.

J’ai de bonnes nouvelles de la famille. Ils espèrent toujours que nous nous retrouverons tous en bonne santé.

Rien de bien nouveau à t’apprendre. J’attends de tes bonnes nouvelles. Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse.

On voit ici la prise de conscience par les poilus que la guerre risque d’être longue (« Il faut espérer que la guerre finira vite car ça commence à devenir long maintenant »).

22 février 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le lundi 22 février 1915

Mad chérie

Je suis bien heureux que tu sois en bonne santé ainsi que ma petite Gisèle quel bonheur pour moi.

Quand à moi comme tu le vois me voilà dans une ambulance, mais ça ne va  pas très bien mon estomac est rebelle, c’est bien ennuyeux car je souffre beaucoup, je ne peux ni manger, ni boire. Mais aussitôt que ça ira mieux je me soignerai comme il faut.

Que faire maintenant attendre dans quelques jours tu auras ma nouvelle adresse. En attendant bons baisers à toi et à Gisèle ainsi qu’à toute la famille. Bons baisers ma chérie.

Lucien Pinet n’a pas encore été évacué vers l’arrière puisqu’il écrit de Rupt-en-Woëvre. Son état de santé semble s’aggraver.

23 février 1915, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mardi 23 février 1915

Petite Mad

Rien de nouveau à te dire, je suis toujours dans l’attente, si demain il n’y a pas de nouveau, je te donnerai mon adresse. Tu ne m’as pas dit si Gisèle était brune, il faut faire attention à ces coliques et toi aussi fais bien attention les maladies sont vite attrappées. Bonne santé à toi et à la petite ainsi qu’à tous. Donnes le bonjour et un baiser chez nous.

Lucien Pinet s’inquiète pour sa fille nouveau-née. Il a probablement reçu une lettre de sa femme lui annonçant que le nourrisson  avait des coliques. Les inquiétudes des poilus au sujet de leurs familles dont ils sont séparés ajoutent encore aux difficultés  qu’ils rencontrent et ont une influence évidente sur leur état d’esprit.

25 février 1915, Lettre de Jean Gillet à son ami Pierre Cuzin

Montélimar le 25 février 1915

Cher ami

Deux mots pour te dire que je quitte Montélimar dimanche ou lundi nous allons passé quelques jours à la Vallonne" nous partirons ensuite sur le front si je pars c’est comme volontaire. Hier matin ils ont demandé 33 volontaires j’ai laissé passé. A 11 heures ils en ont redemandé 58 alors je me suis fait inscrire. Ne m’écrit plus avant que je t’ai envoyé mon adresse.

Tu parles si je suis content je serai à la porte de Lyon donc tous les dimanches je pourrai y aller faire un tour. Reçois cher ami une cordiale poignée de main. Ton ami.

On nous a dit que nous irions ensuite en Serbie.

Il s’agit ici d’un courrier envoyé par Jean Gillet à son ami  Pierre Cuzin. Montélimar est une petite ville de la Drôme. En 1911, elle compte 13 000 habitants (35 000 aujourd’hui). « La Vallonne » dans le texte est selon toute vraisemblance le camp militaire de la Valbonne dans le département de l’Ain, et qui se situe donc effectivement près de Lyon. Le camp est implanté à la Valbonne depuis 1872 et est toujours en fonctionnement. L’auteur de la missive pense partir en Serbie où l’armée serbe vient de résister victorieusement à deux offensives austro-hongroises. Mais, finalement, ce n’est pas en Serbie qu’iront les troupes françaises. Le 22 février 1915 est formé le Corps expéditionnaire d’Orient qui débarquera à Gallipoli, dans les Dardanelles.

27 février 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le samedi 27 février 1915

Si joint 2 médailles une pour toi et pour Gisèle que l’aumonier m’a donné hier.

Petite femme chérie

Tout les jours nous allons vers la fin, chaque jours nous rapproche l’un vers l’autre et tout en y songeant nous ne pouvons nous douter du bonheur que nous éprouverons lorsque réellement ma chérie nous échangerons un véritable baiser et des meilleurs ensuite.

Quelle vie changée, les esprits ne seront plus les mêmes les goûts moins difficiles, et peut-être les gens moins méchants car nous avons besoin d’une grande tranquillitée après un tel bouleversement ; c’est pourquoi mon gros chérie nous viverons en accord parfait dans un échange de baisers, entre toi Mad de ma vie et de notre Gisèle poupée de notre jeunesse : quel bonheur tout de même, notre chambre si gentille avec maintenant un berceau a la place de ton vélo et une toilette dans le petit coin convenu, que nous serions heureux dans notre petit nid d’amour.

Mais hélas j’oubliais notre pauvre maison, notre pauvre bercail a mon idée est brulé si ce n’était que bombardé vivement rassures-moi, d’ailleur d’ici quelques jours je verrai Reims a Paris, d’ailleur sur le Parisien j’ai lu que le Squarre Cérès était en feu, donc je suis haletant de savoir qu’elle partie car mon pauvre chérie je serai rudement attristé que ce malheur nous arrive.

Si ton Père ou le miens pouvaient tu pourrais leur dire de démonter l’armoire et de mettre les portes entre le sommier et le matelat de voir si la glace de la salle a manger tient bien et de faire transporter la pendule dans la cave ; si toute fois le malheur n’est pas arrivé, en tout ca si ça y est résignons nous que veux tu y faire c’est la guerre ou l’affreux massacre plustôt. Que je voudrais mon adorée Mad reprendre mon chocolat le matin, donner un baiser à ma petite femme et à ma fille, prendre mon vélo et partir au boulo avec mon brave Père, boire un bon demi de bière (chose qui manque en ce moment) à midi et manger le bon petit diner que ma chérie aura préparé entre elle et ma gosse que de bonheur perdu, mais hélas nous sommes encore heureux puisque je suis encore en assez bonne santé si ce n’était mon estomac.

Si l’oncle Emile n’a pas de nouvelles de son fils, c’est qu’il est prisonnier ou mort pendant la retraite devant St Remy et c’est les boches qui ont du l’enterrer ce serait bien malheureux mais que veux-tu c’est le sort de tous pour le moment, ne lui dis rien c’est inutile mais de quel régiment ferait-il parti. J’espère que vous êtes tous en bonne santé, soignes toi le mieux que tu pourras et surtout si la situation ne change pas vas te reposer avec Gisèle et Mère chez Jane qui vous réclame l’air de la mer vous fera du bien a tous et tu me feras plaisir.

Bons baisers mes deux amours et embrasses toute la famille pour moi a toi un brûlant baiser. Ton mari.

Au début de sa lettre, Lucien Pinet évoque la figure d’un aumônier. Dès le début de la guerre une centaine d’aumôniers catholiques, recrutés parmi les membres du clergé non mobilisables, sont envoyés aux armées. Ces aumôniers officiels sont 500 en 1918. Ils accomplissent leur mission majoritairement dans les ambulances et les hôpitaux. Mais l’apport de la religion est aussi fourni par les 25 000 ecclésiastiques mobilisés souvent comme infirmiers pour les plus âgés et dans les unités combattantes pour les plus jeunes. Lucien Pinet évoque aussi de violents bombardements sur Reims. De fait, fin février 1915, la ville connaît une série de bombardements violents. En particulier, la nuit du 21 au 22 février 1915 voit les obus tomber de 21 h à 2h30 du matin et cela à une moyenne de 4 à 5 coups à la minute. La journée du 22 février compte encore 5 heures de bombardement ininterrompu. Pendant ces deux jours, 2000 obus sont tombés sur tous les quartiers de la ville faisant 20 victimes civiles. La voûte intérieure de la cathédrale, qui avait résisté jusque-là, est crevée. Une vingtaine de maisons sont incendiées. Même loin de chez lui, Lucien Pinet se soucie des éléments matériels comme de mettre les meubles en sécurité. Mais ce qui est le plus émouvant, c’est sa nostalgie du temps de paix et de la vie de famille. Enfin, Lucien Pinet est conscient qu’à cause de la guerre, rien ne sera plus  comme avant. Mais il en tire une sorte de philosophie positive : pour lui, les malheurs et les souffrances de la guerre feront apprécier la paix à sa juste valeur et feront apparaître comme bien secondaires les querelles et les frustrations d’avant-guerre (« quelle vie changée, les esprits ne seront plus les mêmes, les goûts moins difficiles, et peut-être les gens moins méchants car nous avons besoin d’une grande tranquillité après un tel bouleversement ».

1er mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le lundi 1e mars 1915

 Petite Mad Je vais tout doucement et ne pense pas que j’aurai la chance d’aller faire un tour à l’arrière enfin tan pis. J’ai vu hier sur ta dernière lettre que ta santé et celle de la petite vont bien c’est une consolation. Je suis a peu près rassuré sur notre bercail car c’est entre St André et le port-sec que ça a tombé mais j’attends des nouvelles. Embrasses pour moi Gisèle et dis lui d’être bien sage à toi mon adorée petite femme les bons baisers de ton Toto qui t’envoies mille baisers embrasses Suzon pour moi ainsi que toute la famille. Ton petit homme pour la vie. Lucien.

Lucien Pinet ne pense pas être assez malade pour « aller faire un petit tour à l’arrière », c’est-à-dire être évacué loin du front. Il en ressent une déception évidente car l’évacuation peut être pour le poilu, dans le cas, bien sûr, où la maladie ou la blessure ne sont pas trop graves (la « bonne blessure » est celle qui assure l’évacuation voire la réforme sans être totalement handicapante), l’assurance d’être éloigné du front et de ses dangers. Outre le souci de sa femme et de sa fille, on retrouve son inquiétude sur son logement rémois, tempérée par le soulagement que le bombardement a « tapé » ailleurs.

4 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le jeudi 4 mars 1915

Mad chérie

Comment vas-tu toi et ma fille, tu dois depuis quelques jours entendre une terrible canonnade car un grand combat est engagé sur Perthes je ne sais quel en sera le résultat. Si le bombardement continue aussitôt que tu en auras la force pars respirer l’air de Nantes ça te fera du bien ainsi qu’à la pauvre petite Gisèle, car avec le soleil les infections vont arrivées, il faut beaucoup mieux les fuires. 

Je suis toujours à l’ambulance mais je ne vais pas très bien enfin je n’ai qu’à prendre patience. Bons baisers mon gros chérie ainsi qu’à ma bonne et adorée grosse fille encore un gros bec à Lili et à Gisèle. Bonjour à toute la famille sans oublier un bec à Suzon. Ton mari pour la vie.

Lucien Pinet fait ici allusion à « un combat engagé sur Perthes ».  Il s’agit de l’offensive  menée par la IVe armée du général de Langle de Cary à partir du 16 février 1915 au Nord-Est de Suippes dans la région de Perthes-les-Hurlus. Dans un premier temps les Français avancent mais les pertes sont énormes pour gagner très peu de terrain ce qui amènera l’arrêt de l’offensive le 17 mars 1915. Lucien Pinet engage aussi son épouse à quitter Reims pour Nantes. Les arguments  qu’il emploie sont intéressants : il y a les risques liés aux bombardements («les bombardements continuent ») mais il y a aussi des éléments du temps de paix : le bon air marin qui protégera sa fille des « infections » qui vont arriver avec le soleil. C’est assez révélateur de l’impact des conseils sur l’hygiène de vie prodigués à l’époque aussi bien à l’école que dans la presse quotidienne.

6 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le samedi 6 mars 1915

Mad chérie

Quoi de nouveau ma petite femme pas grand-chose, je suis toujours dans cette ambulance et commance à mi ennuyer enfin patience. Mon capitaine est revenu hier il boite encore un peu mais il a une belle tête. C’est la fête à Mère embrasses là pour moi et présentes lui mes souhaits, comment va notre amour bien je l’espère ainsi que toi fais bien attention surtout, ainsi j’ai vu la petite en photo sans rien sur la tête c’est une imprudence mais non un reproche. Bons baisers petite Lili chérie ainsi qu’à Gisèle et embrasses toute la famille pour moi.

Monsieur et Mme Halary t’envoient le bonjour encore un gros bec à tout deux. Lucien

8 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le lundi 8 mars 1915

Mad chérie

Tu parles d’une réception voilà le commandant major qui vient de passer la visite et qui voulait me faire sortir aujourd’hui, tu parles j’ai rouspetté et j’ai gagné trois ou quatre jours, c’est toujours ça, car si ça ne va pas je n’en fouterai pas un coup. Il fait un temps dégoutant en ce moment la pluie la neige tout ce qui faut pour faire perdre courage enfin que veux-tu c’est la guerre. Comment va ma petite Gisèle ainsi que sa petite Mère bien je veux le croire ainsi que toute la famille. Je vais un peu mieux mon ventre chante et je suis débouché mais j’ai toujours la bouche pâteuse. Bons baisers ma petite femme ainsi qu’à Gisèle et à toute la famille un gros béco à Suzon. Encore un gros bec à tout deux. Ton Toto. Lucien

Dans la terminologie militaire de l’époque (et ceci jusqu’en 1928) un « major » désigne un médecin militaire. Ici il s’agit d’un médecin principal (puisque Lucien Pinet lui donne son équivalent de grade, commandant). On peut penser, à lire la missive, qu’une des fonctions de ce médecin militaire est de renvoyer les malades ou blessés les moins atteints dans les unités combattantes où, du fait des pertes,  le manque de soldats commence se fait sentir. La réaction de Lucien Pinet montre qu’il y a tout de même un espace de discussion (« j’ai rouspetté et j’ai gagné trois ou quatre jours »). En même temps Lucien Pinet exprime le sentiment que s’il est renvoyé dans son unité malgré son état il ne sera plus motivé (« je n’en fouterai pas un coup » ; la formulation est d’ailleurs intéressante car elle fait penser à la relation entre un employé et son employeur).

10 mars 1915, Carte de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mercredi 10 mars 1915

Petite femme

Je ne sais si cette carte va te parvenir car toutes tes dernières lettres étaient d’une pagaille incroyable c’est pourquoi croyant la dernière lettre de Mère du 4 je te crois chez Jane et j’en suis heureux. Je ne vois rien à te dire pour le moment je ne suis pas très fort et je vais bientôt être sortant. J’espère que le voyage c’est bien passé et que Gisèle n’en a pas trop souffert. Bons baisers ma petite Lili ainsi qu’à ma fille et a toute la famille encore un gros bec Mad chérie et courage. Lucien

13 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le samedi 13 mars 1915 

Mad chérie

J’ai reçu hier une lettre de toi me donnant confirmation de ton départ pour Nantes j’en suis heureux, surtout que le voyage s’est bien passé. Après avoir eu le 11 et le 12 matin 38,5 de fièvre je marque aujourd’hui 36, j’ai eu une bonne nuit tout en suant beaucoup. Je suis honteux Mad de venir te relancer de l’argent mais je me suis acheté à Verdun du sel de Vichy 4,50 les 50 paquets, plus de prêts 6 sous de lait et un œuf 4 ou 5 sous ça dépend au moins de la poule mais ça va mieux et vers le 20 je serai sortant tu peux m’écrire comme autrefois et même si possible m’envoyer du saucisson du beurre de la confiture dans une boîte solide si tu peux joindre des fruits quel plaisir.

Bons baisers de ton petit homme sans oublier Gisèle et a toute la famille.

Les soldats de la Première Guerre mondiale pour la plupart sont des mobilisés et non des soldats de métier (à l’exception des officiers de carrière). Ils reçoivent cependant une solde. Pour le soldat de base, elle est très faible. De 5 centimes par jour au tout début de la guerre, elle est rapidement portée à 25 centimes. A cette somme il faut ajouter 1 franc par jour quand le poilu est en première ligne (mais dont la moitié est bloquée sur un pécule que le soldat touchera théoriquement à sa démobilisation) et des suppléments en fonction de l’ancienneté au front. Au total, un simple soldat touche entre 25 et 50 francs par mois mais la société militaire étant très hiérarchisée, les soldes des sous-officiers, et surtout celle des officiers qui ont des conditions de vie bien supérieures à celles des simples soldats, sont très supérieures. Les femmes des soldats mobilisés touchent une allocation de 1,25 franc par jour (plus 50 centimes par enfant à charge). La modestie de la solde entraîne fréquemment les récriminations des poilus, surtout quand ils se comparent aux « embusqués » qui travaillent dans le civil (à titre de comparaison, un ouvrier spécialisé gagne autour de 10 francs par jour). Certes, l’intendance militaire fournit au soldat l’habillement et la nourriture mais pour améliorer l’ordinaire les poilus peuvent, s’ils en ont les moyens, se fournir auprès de commerçants ou de paysans qui leur vendent, le plus souvent au prix fort, ce dont ils ont besoin. Ce sont les « mercantis » (le terme est péjoratif). Tout cela explique que Lucien Pinet qui, à l’ambulance, ne touche plus l’indemnité de première ligne, en est réduit à demander de l’argent à sa femme pour acheter quelques produits dont les prix ont beaucoup augmenté depuis le début de la guerre. On voit aussi dans cette lettre le maintien du « sou » qui, s’il n’a plus d’existence légale (la monnaie est le franc avec le centime comme valeur centésimale), est toujours employé dans le langage courant (un sou = 5 centimes).

15 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt le mardi 15 mars 1915

Mad chérie

Je ne sais combien de lettres il faut que je t’écrivent par jour, mais toute ta correspondance me dit toujours sans nouvelles tu ne dois pas en recevoir beaucoup et cependant tu réponds à mes demandes. Pour la 15ème fois j’ai ton paquet et tes photos, il y en a même une à Paris chez Mme G. Halary elle nous remercie et t’envoie le bonjour ainsi qu’à Marcelle. J’ai des nouvelles de Suzon et de Père et j’ai répondu aussitôt ça va bien. Où crois-tu que je suis soigné, je suis soigné à Rupt et quand j’irai mieux je n’ai qu’à descendre les escaliers et je trouverai ma pièce je suis soigné sur le frond tout pareil que si je manœuvré. Ce qui m’ennuie c’est que je n’ai plus d’argent Georges m’a prêté 5 francs et je vois que ça ne va pas duré longtemps dans cette infirmerie. Je ne sais si la situation changera mais vraiment ça ne va pas vite. J’espère que tu dois être heureuse d’être à Nantes. Plus grand-chose à te dire à part mes baisers pour toi et Gisèle. Bonjour à toute la famille. Ton petit homme. Lucien

Manifestement les nombreuses lettres de Lucien Pinet à son épouse n’arrivent pas toutes, ce qui peut être dû au fait que cette dernière est maintenant à Nantes. La notation sur les colis montre l’importance de ces derniers pour le combattant : c’est le 15e qu’il en reçoit de sa femme, ce qui en fait au moins deux par mois. Il est toujours soigné à l’ambulance de son régiment, à Rupt, tout près, comme il le note, de sa batterie d’artillerie. Lucien Pinet continue à évoquer le manque d’argent pour ses faux frais à l’infirmerie.

17 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Rupt-en-Voeuvre le mercredi 17 mars 1915

Je suis évacué sur Neuchateau si ça va bien me voilà parti dans le midi vers Nice ou dans les Alpes attendons nous verrons, continuez à m’écrire à la même adresse jusque tant que je vous en donne une nouvelle. Bonjour à tous et bons baisers. Lucien

Lucien Pinet est évacué sur Neuchateau (en fait Neufchateau) dans les Vosges probablement dans un hôpital de triage puisqu’il est prévu qu’il soit évacué à l’arrière, « dans le midi vers Nice ou dans les Alpes ».

20 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

La Seyne le 20 mars 1915

Petite femme

Après au moins 5 jours de chemins de fer me voilà arrivé dans le midi dans un hopital merveilleux où les arbres sont déjà en fleurs et où il y a des femmes vraiment courageuses. Toutes les femmes travaillent ce sont elles qui font la soupe et qui nous la servent elles mangent avec nous. Tu pourras m’écrires Hopital Bénévol n°144 bis La Seyne Var. Baisers à Lili Gisèle et à tous ne vous en faites pas si argent n’est pas envoyé vous pouvez y allé.

Lucien Pinet est finalement hospitalisé à la Seyne-sur-Mer dans le département du Var (22 000 habitants en 1911, 63 000 aujourd’hui). La guerre a nécessité l’installation de très nombreux hôpitaux pour traiter les soldats blessés ou malades. Avant le conflit les militaires étaient soignés dans les grands hôpitaux militaires (le Val de Grâce à Paris) ou dans des hôpitaux civils mixtes dans les villes de garnison (comme à Reims). Avec le conflit on doit ouvrir de très nombreux hôpitaux temporaires, dont le nombre ne cesse d’augmenter avec l’ampleur des pertes. On comptera jusqu’à 9 000 « hôpitaux », certains implantés dans de vraies structures hospitalières, d’autres dans divers lieux réquisitionnés (usines désaffectées, écoles, lycées comme à Reims celui de jeunes filles, l’actuel Lycée Jean Jaurès). Administrativement, on distingue les hôpitaux complémentaires (HC) placés directement sous le contrôle du service de santé militaire, les hôpitaux auxiliaires (HA) gérés par la Croix-Rouge française et les hôpitaux bénévoles (HB) créés sur l’initiative d’une personne publique (collectivité territoriale par exemple) ou privée (ordre religieux, association de bienfaisance par exemple). Lucien Pinet est donc hospitalisé à l’hôpital bénévole numéro 144 bis. Il possède 103 lits et fonctionne dans les locaux de l’hôpital civil de la Seyne-sur-Mer à partir du 14 décembre 1914. Il existe aussi une annexe, installée au Patronage laïque, Boulevard du 4 septembre, composée de 32 lits qui est mise en place à partir du 1er février 1915. Ces deux installations sont venues renforcer l’hôpital complémentaire numéro 4 de 500 lits, installé dès le 6 août 1914 dans les bâtiments de l’Institution Sainte-Marie rue Germain Coro.

23 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

La Seyne le 23 mars 1915

Petite femme

Rien de nouveau à te dire nous sommes soignés comme des poulets elles sont d’une gentillesse poussée à l’extrême mais moi je suis bien faible mais avec des soins pareils ce ne sera pas long à ce guerrir. Bons baisers Mad chérie à toi et à Gisèle et ne te fais pas de bile. Encore un gros bec à tout deux. Lucien

27 mars 1915, Lettre du sergent Francescoli, 62e Alpin, au père de Pierre Cuzin

Haute-Alsace le 27 mars 1915

Monsieur

Je répond à votre lettre du 21 reçue ce jour. Vous n’avez pas à me remercier de ce que j’ai fait pour votre fils, car c’est le devoir de tous les soldats de rendre les derniers services à leurs camarades morts pour la Patrie.

Votre fils repose dans la cave de l’école des sœurs du village d’Ampfersbach (commune de Stosswihr). J’y ai fait mettre au dessus une croix avec son nom, prénom, son village ses Bon [bataillon] et Cie et la date du jour où il a été enterré.

Il a dû être blessé d’une balle au côté, qui a même traversé son carnet et ses papiers, il a dû venir lui-même ou être transporté par ses camarades dans cette cave et étendu sur un matelas. Cette cave a reçu des obus et un éclat a dû le blesser encore à la tête, c’est ce qui a dû déterminer sa mort.

Il a dû être blessé à l’attaque du 6 mars et je l’ai trouvé et fait enterrer le 17. 

Pour ces papiers, vous n’avez qu’à écrire au Commandant du 11 Bon en lui disant que ces papiers ont dû lui être remis par le 62e Bon.

Je suis certain que la perte de votre fils doit être très douloureuse pour vous, mais il faut faire courage et songer qu’il est mort pour la Patrie avec nombre de ses camarades Alpins, car nos Bon ont perdu énormément de monde dans toute cette région.

Je reste entièrement à votre disposition pour d’autres renseignements si vous en désirez.

Recevez, Monsieur, mes empressées salutations.

Cette lettre, envoyée par le sergent Francescoli du 62ème bataillon de chasseurs alpins au père de Pierre Cuzin, lui précise les conditions du décès de son fils. Pierre Cuzin est tué sur le front des Vosges, plus précisément dans la partie de l’Alsace reconquise en 1914, secteur tenu essentiellement par des chasseurs alpins (dont le 11ème BCA auquel appartient Pierre cuzin). Début 1915, Allemands et Français s’y livrent à une série d’attaques et de contre-attaques. C’est lors d’une attaque française sur le territoire de la commune de Soultzeren menée le 6 mars 1915 que Pierre Cuzin est touché au côté par une balle et transporté dans la cave de l’école des sœurs du village d’Ampfersbach sur la commune de Stosswihr (commune limitrophe de Soultzeren). Lors d’un bombardement allemand ultérieur des obus s’abattent sur cette cave et Pierre Cuzin est mortellement touché par un éclat (peut-être le 7 mars puisque c’est cette date qui figure sur sa fiche de décès). Le fait que son corps n’ait pu être retrouvé que dix jours plus tard montre l’intensité des combats. La lettre est aussi intéressante sur ce qu’elle indique du devenir du corps des soldats tués au combat. En théorie, à la date de la lettre les tués doivent être enterrés dans des fosses communes. Mais cela  heurte les combattants qui, quand ils le peuvent, préfèrent enterrer leurs camarades dans des tombes individuelles provisoires avec le maximum de renseignements pour l’identification, comme c’est le cas ici : «j’y ai fait mettre dessus une croix dessus….et la date du jour où il a été enterré ». Les textes officiels finissent par entériner cette pratique puisque la loi du 29 décembre 1915 prescrit des sépultures individuelles. Après la fin de la guerre il faudra regrouper ces sépultures dispersées (quand elles n’ont pas été détruites par les combats), aménager des cimetières de guerre ou rendre les corps aux familles.

29 mars 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

La Seyne le lundi 29 mars 1915

Chère Mad

J’ai reçu toute votre correspondance jusque maintenant et c’est assis sur mon lit que je viens te dire un petit bonjours.

Je ne sais si je t’ai dit ce que j’avais mais ce n’est que du repos qu’il me faut rien autre chose, je suis fortement constipé, je ne pèse plus que 52 kilogs tu vois si je suis maigris. Ma note donne affaiblissement général frottement du poumon gauche grand repos. J’en ai pour un bout de temps dans cet hôpital plus d’un mois au moins et ensuite j’aurai une convalescence et si Jane peu me fournir des papiers comme quoi elle peut me soigner chez elle vous aurez le plaisir et moi aussi de nous embrasser tous en cœur, surtout avec le secour de Marcelle s’il est bon.

J’ai reçu ce matin ton paquet je vous en remercie tous. Comment va ma gosse pousse-t-elle fait-elle enragé un peu tout le monde comme je le ferai si j’étais là, écrivez moi tant que vous le pourrez ça me donne de la distraction car moi je suis si faible qu’une heure d’écriture c’est tout ce que je peux en ce moment.

Il faudra me donner l’adresse de Louise, comment vas-tu toi ma petite femme bien au bord de cette mer moi je suis tout près et je ne l’ai pas encore vu mais je là sens.

Je ne vois plus grand-chose à te dire que je voudrais voir l’Italie se mettre en marche car ça précipiterez les événements et nous rapprocherait l’un vers l’autre, vers notre petit nid d’amour que nous commençions tant à aimer et maintenant que pour le distraire il y aurait un charmant poupon que nous manquerait-il je ne le vois pas ni toi non plus.

Enfin je veux espérer que la guerre prendra fin vers la fin du mois d’août et que cette fois nous arriverons à faire une paix durable et que nous pourrons nous organiser.

Bons baisers ma petite femme de ton petit homme qui t’aime bien bien fort ainsi qu’à Mère Jane Marcelle Andrée Renée sans oublier Léon et à ma bonne grosse gogosse un gros bec de son Père. Ton petit homme pour la vie. Lucien Pinet

Ne pas oublier l’adresse de Louise.

Cette lettre permet de mesurer l’épuisement physique de Lucien Pinet. On y mesure aussi les espoirs mis à l’époque sur l’entrée en guerre de l’Italie (elle sera effective le 23 mai 1915) que la propagande présente comme devant changer le cours du conflit et amener une paix rapide. La lettre montre enfin qu’il existe encore à cette époque la croyance en une fin prochaine du conflit (la fin du mois d’août pour Lucien Pinet). Il faut y voir l’influence de la propagande toujours prompte à annoncer notre victoire mais aussi le fait que l’on n’a pas tiré toutes les conséquences du passage à la guerre de position et qu’en arrière-fond se maintient l’idée d’un retour à une guerre de mouvement rapide et victorieuse.

1er avril 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

La Seyne le jeudi 1e avril 1915

Petite femme chérie 

Rien de nouveau à te dire je suis toujours dans mon lit et j’y suis encore pour un bout de temps puis après j’aurai de la convalescence où je pourrai allé vous voir surtout armé des certificats que Marcelle me fera avoir et surtout signés de la mairie de Nantes d’ailleur elle doit bien le savoir. Comment vas-tu ainsi que Mère et tous et ma gosse est-elle bien donnez moi des détails que fais-tu, quel est votre vie à Nantes. Ici c’est curieux tu vois des montagnes couvertes de neige et disparaître dans les nuages et nous nous sommes dans le soleil. Plus rien à te dire ou tout au moins à plus tard. Voilà le docteur tout le monde couché. Bons baisers à tous et à toi et à ma fille un gros gros gros. Lucien

4 avril 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

La Seyne le dimanche 4 avril 1915

Mad chérie

J’espère que vous aussi vous avez fait Pâques. Commes tu le voies ces dames ont fait tout pour nous faire entrevoir la fête de famille je joins le menu à ma lettre et tantôt je joindrai le programme de la fête. Tu te pleins ce matin de ne pas me lire assez souvent mais il ne faut pas oublier chère petite femme que je réponds à ta lettre du 31 et a votre carte de la même date donc tu vois chère Mad que ton petit homme répond à ta chère correspondance.

J’ai reçu une lettre de Père ce matin j’étais très content car il vous dit ce qu’il pense ce brave Père, mais je n’ai pas de nouvelles de chez vous je ne sais comment ça se fait mais il doit se passer encore quelque chose la dessous.

Je suis l’enfant gaté de cet hopital et le docteur lui aussi m’a à la bonne c’est pourquoi je resterai encore un bon moment ici et que qu’en mon tour viendra de partir j’aurai une bonne convalescence a moins que je ne sois envoyé à Vichy chose qui ne m’étonnerai pas du tout car je resterai à l’hopital jusqu’à la fin d’avril et que Vichy ouvre en mai. Je prendrai ce que l’on me donnera, mais j’aimerai mieux Nantes tout dépendera de ma santé.

Comment allez vous sur ta dernière lettre votre santé à tous est bonne j’en suis heureux que Gisèle se porte bien ainsi que tous c’est tout ce que nous pouvons demander et surtout la santé de ceux qui sont encore exposés à Reims enfin que veux tu ils y ont vécu jusqu’à maintenant il faut espérer qu’ils auront la chance d’y vivre jusqu’aux bout.

Il fait ici un soleil superbe je respire le vent de la mer d’un côté et de l’autre j’ai le fameux mistral ce bon vent du rhone et le piano et des voix de femme toujours dans les oreilles, enfin c’est bien le midi.

Je ne vois plus grand-chose à te dire je vais écrire chez nous car je ne voudrais pas passer Pâques sans le faire. Bons baisers chère Mad ainsi qu’à Mère Jane Marcelle Andrée Renée sans oublier ma bonne grosse gosse. Ton petit homme qui t’aime bien fort. Lucien

10 avril 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

La Seyne le 10 avril 1915

5 heure matin par un beau soleil.

Mad chérie

Je réponds à ta lettre du 3 et remercie Jane en attendant que je le fasse moi pour sa lettre et son mandat j’ai écris à Léon il y a un bout de temps, j’ai reçu toute vos lettres jusqu’à ce jour même celle de Louise contenant les 10f.

Pour ce que me propose Marcelle c’est très gentil à condition toutefois que rien ne vienne contrarier nos projet, penses un peu, j’ai avec moi un Mr de St Nazaire qui a fait venir sa femme et sa fille depuis qu’ils sont arrivés au lieu d’avoir deux après midi par semaine on ne lui en accorde plus qu’une tu penses s’il est content. Donc à mon avis il faut mieux tenir que de courir et comme l’infirmière m’a dit que j’en avais encore avec elle pour un mois un mois et demi plus la convalescence ou la permission ça c’est un peu le hasard ou le piston tu vois où ça me conduit, fin mai.

Je joins le programme de la fête qui a eu lieu à l’hôpital par les malade et infirmière c’était très bien. Je suis toujours dans mon lit car mes jambes refusent encore de me porter mais j’espère bientôt que les forces reviendront mais l’estomac a bien du mal à fonctionner comme purge ou tout au moins comme laxative je prends de l’huile de vaseline c’est très bon et sans colique le matin. J’espère que tu te porte bien ainsi que ma fille elle je n’en doute pas par son bulletin de santé elle n’a qu’à continuer.

Eh ! toi Mad chérie comment vas-tu crois-tu que la guerre bientôt prendra fin moi je n’y crois pas avant août ou septembre tu vois que ce n’est pas fini.

Voici l’huile de vaseline tu parles d’une affaire mais ce n’est pas mauvais d’ailleur c’est pris. J’ai reçu une lettre de Suzon ils sont tous en bonne santé et j’en suis heureux, je suis étonné que tu me dises qu’ils ont des idées de quitter Reims car la lettre de Suzon date du 3 enfin ils auront raison.

Plus rien à te dire à bientôt et je t’envoie pour toi et pour tout ceux qui me sont chers des millions de baisers. A toi un gros gros bec. Lucien

Dans ce courrier comme dans ceux qui précèdent, Lucien Pinet évoque sa vie à l’hôpital et son éventuelle convalescence après sa sortie. 

13 avril 1915, Lettre de Lucien Pinet à sa femme Madeleine

Mercredi 13 avril 1915

Chère Mad

J’ai été paresseux ces derniers temps, mais que veux-tu je suis si faible me voilà maintenant privé de pain, j’ai pour le remplacer des pommes de terre cuites à l’eau, excuses moi auprès de Mère Jane et tous mais que veux-tu je ne puis écrire à tout le monde.

J’ai reçu des nouvelles de Georges Halary et un mot de sa dame je le joins à ma lettre, ainsi tu vois me voilà installé on vient pour me piquer. Comment allez-vous le soleil commence-t-il à se faire voir à Nantes Gisèle pousse me dis-tu tu pense que je n’irai guère la voir avant deux mois ce qui lui en fera quatre quelle affaire.

Il fait en ce moment un temps superbe à La Seyne Seyne c’est bien malheureux que l’on ne puisse sortir moi c’est évident je ne le pourrais pas mais bien d’autre en meurt d’envie. Que te dire de plus maintenant que je voudrais bien voir tes parents évacués quand à nos meubles si ton Père ou le miens trouve qu’ils seraient mieux démontés ils n’ont qu’à le faire et les mettres dans la salle à manger c’est là qu’ils seront le mieux. Le travail reprend me dis-tu en ce moment tant mieux ça ne peut durer toute la vie.

J’attends des nouvelles de Léon de Marcelle. J’en ai reçu de Louise et je vais écrire à Mère demain à Jane ça me fait peur enfin il le faut a mon dieu quel travail. Je vais envoyer une carte à tout le monde et tout le monde sera content.

Embrasses Gisèle bien des fois pour moi et que bientôt tout deux nous fasions des cumariots le matin ensemble. A toi Madelon chérie un gros bec de ton Lucien et embrasses bien Mère Jane Marcelle Renée et Dédée. A tous un gros bec à toi le meilleur. Lucien

15 avril 1915, dernières lettre et cartes postales envoyées par Lucien Pinet à sa mère et à sa femme Madeleine

La Seyne jeudi 15 avril 1915

Mère chérie

Je suis toujours au lit mais ma maladie est changée voilà que je suis diabétique, je ne mange plus de pain, plus de sucre, je suis aux amandes, noix, épinards, oseille, œufs et comme pain pommes de terre cuite à l’eau. Je te demanderai chère Mère de remercier Mme l’infirmière-major, ainsi que Mr et Mme Scaléro ce sont les directeurs de l’hopital qui sont très gentil pour moi. Voici les adresses Mme Blanchenay infirmière-major à l’hopital Bénévole 144 bis La Seyne s/mer Var puis Mr et Mme Scaléro directeur de l’hopital même adresse, Mme Blanchenay pour ces soins et Mme Scaléro pour sa gentillesse et prévenance tu as le temps. J’en ai encore pour un bout de temps tu sais au moins deux mois. Bons baisers à tous et à toi un bon gros. J’espère que tout le monde va bien ma gosse et Mad aussi. Encore un baiser à tous. Lucien 

La Seyne jeudi 15 avril 1915  [carte postale]

En ce jour ma chérie que nous devrions fêté tous avec joie nous voilà bien séparé, mais la fête du retour remplacera toutes ces joies. Bons baisers et joyeux anniversaires tout de même. Ton Toto. Lucien

Recto de la carte postale représentant son hôpital à la Seyne-sur-Mer (hôpital bénévole n°144). Une croix indique la personne de Virgile Scalero, instituteur honoraire, directeur.

La Seyne jeudi 15 avril 1915 [carte postale]

De ton petit homme bien désolé reçoies ses meilleurs baisers sans oublier ma fille. Ton Toto malheureux. Lucien Pinet.

Dernier écrit de Lucien Pinet, décédé en tant que premier militaire "des suites de ses blessures" à l’hôpital bénévole n°144 de La Seyne-sur-Mer (hôpital municipal de La Gatonne) le 20 avril 1915, à l’âge de 24 ans (en réalité probablement d'une maladie infectieuse qu'il était facile de contracter au vu des conditions d'hygiène). Sa femme Madeleine, sa mère et sa sœur venues à La Seyne conduisirent le deuil, suivies de nombreuses personnalités locales, de militaires blessés, des infirmières de l’hôpital et de représentants de diverses sociétés. L’un de ses camarades prononça un discours qui fit une profonde impression et sa mère eut ces mots en s’avançant sur le bord de la fosse « Adieu, Lucien, que je vive assez pour te voir vengé ! ». Le bulletin des réfugiés de la Marne « Reims à Paris » du 1er mai 1915 en parle en ces termes dans sa rubrique « Nouvelles de Reims » : « Bien connu à Reims, où il n’avait que sympathies, notre jeune concitoyen  était membre du Bicycle -Club rémois ; il sera profondément regretté de tous ses camarades. Il laisse une veuve et une petite fille née il y a quelques semaines dans les caves ».

17 avril 1915, Lettre de G.S. officier payeur du 11e bataillon de chasseurs à pied aux parents de Pierre Cuzin

Le 17 avril 1915

Monsieur, 

Comme suite à ma lettre de ces jours derniers, je vous communique ci-après les renseignements que j’ai pu recueillir sur votre fils. Le chasseur Cuzin Pierre fut blessé le 6 mars 1915 à l’attaque de Looch et dès le début de l’action par une balle qui l’atteignit dans le ventre. Il put gagner la cave de la maison d’école d’Ampferbach où il expira une heure après.

A ce moment sa compagnie recevait un nouvel ordre d’attaque immédiate ; Le commandant de la Cie avertit alors les brancardiers d’un bataillon voisin afin qu’ils procèdent à l’inhumation immédiate de votre fils.

Par suite de je ne sais quelles circonstances cet acte ne put être accompli et ce fut le sergent Francescoli du 62e Bon qui, une huitaine de jours après, retrouvant le cadavre de votre fils le fit inhumer à la même place où il reposait (cave de la maison d’école d’Ampfersbach près Sultzeren (Alsace).

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma parfaite considération. G.S…Officier payeur du 11. Bon de chasseurs à pied.

9 mai 1915, Carte postale

Le 9 mai 1915

Madame 

Je répond à ta carte qui me fait toujours grand plaisir d’avoir de tes nouvelles. Je suis toujours en bonne santé. Je pense que ma carte te trouvera de même. Tu me parle des champenoises, il y en a de jolies mais elles ne sont pas sur la ligne de feu ou nous sommes, tout les villages sont brûlés et il ne reste de des vieux tableaux de femmes de 40 a 50 ans tout ce qui été a peu près est partit. Tu vois un peu que du sex féminin l’on est privé mais ci l’on a le bonheur de rentrer l’on ce rattrappera. Au point de vu de guerre je ne voit pas la fin ? Recoit toutes mes amitiés de la Champagne" et a bientôt de tes nouvelles ?

Cette carte postale anonyme est intéressante par ses remarques sur les femmes dans une guerre où les combattants sont tous des hommes. Le poilu évoque les villages détruits de la ligne de feu « où ne restent que des vieux tableaux de 40 à 50 ans ». Bien évidemment une telle formulation peut apparaître assez crue  mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque, l’espérance de vie moyenne étant plus courte qu’aujourd’hui on est considéré comme « vieux » plus tôt. De plus, le soldat est selon toute probabilité un homme jeune et il répond à son amie avec le souci de lui faire comprendre qu’elle n’a guère de concurrente. 

18 mai 1915, Lettre de Louis Cuzin à ses parents

Le 18 mai 1915

Mes très chers parents

Je vous écris encore pour vous dire que rien de particulier ne se produit pour l’instant. Nous venons de recevoir beaucoup de renforts, composés surtout de jeunes soldats somme toute, mes chers parents, nous les vieux du départ, nous nous regardons et nous nous causons avec fierté car malheureusement nous nous comptons. Le ciel nous sauvera-t-il ? Oui, car nous sommes maintenant invulnérables. Nous reviendrons malgré les peines physiques et morales avec la victoire consolatrice. Nos vaillants disparus seront alors vengés ! Ayez beaucoup de courage, nous tuerons sans pitié tous les boches.

Votre fils qui vous aime et qui vous embrasse bien fort.

Que faites-vous ?

Dans cette lettre à ses parents Louis Cuzin exprime sa certitude de la victoire. On peut y lire le maintien d’un fort sentiment patriotique mais c’est aussi à mettre en rapport avec le récent décès de son frère. Louis Cuzin cherche à diminuer la douleur de ses parents en évoquant la victoire finale qui justifiera le sacrifice des poilus tombés au combat, et au premier chef celui de leur propre enfant. La missive est aussi éclairante sur les sentiments des soldats. Ceux qui sont partis en août 1914 et qui ont survécu se considèrent maintenant comme des vétérans. Les pertes nombreuses (rappelons que c’est au début du conflit que le nombre de morts est le plus élevé) doivent être comblées. On appelle donc les classes par anticipation. Le 15 décembre 1914 la classe 1915 (conscrits nés en 1895) est appelée et dès le 8 avril 1915 c’est au tour de la classe 1916 (conscrits nés en 1896) de l’être. En même temps on crée pour les plus âgés une réserve de l’armée territoriale : le 1er décembre est mobilisée la classe 1892, le 1er mars 1915 la classe 1891, le 1er avril 1915 la classe 1890 et le 15 avril 1915 la classe 1889 (soit des hommes nés successivement en 1872, 1871, 1870 et 1869).

25 mai 1915, Carte postale

25 mai 1915

Cher cousine

Je t’envoie mon arrivée du front que je me suis pas fait du mauvais sang en cour de route, j’ai voyagée de Paris à Rheims avec votre patron de ... ses tranquille maintenant ici à Rheims, la guerre doit se terminer au moi de juin. Le bonjour a Paris. Ton cousin M.J. Marie 67/K au Génie 11e 155

On retrouve ici l’idée que la guerre doit bientôt se terminer (« au mois de juin »), peut-être à mettre en rapport avec l’entrée en guerre de l’Italie que la propagande présente comme devant permettre la victoire rapide et définitive contre les puissances centrales.

22 juin 1915, Lettre de Louis Cuzin à ses parents

Le 22 juin 1915

Mes bien chers parents

Encore une fois je mets la main à la plume pour vous dire que ma santé est toujours très bonne et pour vous je pense que tout va bien également.

Ici, il fait bien chaud et à Irigny vous devez vous en voir beaucoup aussi avec tant de travail par une pareille chaleur. Cependant, je vous recommande de ne pas vous fatiguer par trop car ce n’est pas le travail qui avance puisque en un instant tout est démoli. Je voudrais vous connaître une petite vie tranquille et sans secousse. Pourquoi tant de sueur pour de si petits résultats ? Je comprends que c’est ennuyeux sans cheval, mais aussi c’est un embarras de moins. Pourquoi tant de train de maison ?

Pour moi mes chers parents tout irait si la victoire venait nous apporter la paix le plus vite possible car après onze mois il m’est un peu permis de penser au retour. Savez-vous que cela constitue une belle randonnée ? Un certain ami de René avec lequel j’écris depuis mon voyage et qui est sergent me dit qu’il voudrait que ces M.M. les légumes viennent nous remplacer. La Paix, d’après lui, serait vite signée.

La tante Jeanne vient de m’écrire, elle est très gentille pour moi. J’ai aussi un bonjour à vous donner d’Arthur Klein le frère de René caporal fourrier au 366e et de ses parents. Ils ont été très gentils pour moi tous dans ce malheur. Une bonne lettre soutient parfois beaucoup.

Voilà cependant quelques jours qu’on a rien de René. Ah ! le pauvre ami, comme il doit souffrir ! Joseph a-t-il écrit ? Bien des choses à tous les amis. A vous courage et bons baisers. Votre fils qui vous aime. Louis Cuzin.

Dans ce courrier Louis Cuzin s’inquiète de la santé de ses parents qui vivent à Irigny, une commune du Rhône près de Lyon (1580 habitants au recensement de 1911). Il critique la quantité de travail qu’ils fournissent pour des profits bien faibles. Il est permis de penser à la lecture de la lettre qu’ils sont à la tête d’une exploitation agricole qui a été privée de son cheval par les réquisitions opérées par l’armée. Même si la cavalerie a joué un rôle modeste dans la Première, les chevaux sont encore très utilisés dans l’armée française (transports, batteries d’artillerie) et, outre les achats opérés à l’étranger, le service de remonte militaire a réquisitionné, de 1914 à 1918, 950 000 chevaux « civils ».

La lettre est aussi intéressante par ce qu’elle révèle de la lassitude des combattants et de leurs critiques contre les dirigeants, « M.M. les légumes », hommes politiques, officiers d’Etat-major, qui,  à l’abri à l’arrière, font tuer les combattants de première ligne.

2 juillet 1915, Carte postale

Samedi le 2 juillet 1915

Chers cousine

Je t’écrits ces deux mots pour te faire savoir que je suie toujours en bonne santé et que je suie toujours au front mais nous ne battons pas jus à ce jour mais cela n’a pas l’air fini j’aimerais mieux être encorre à Queteville pour se faire payer une bouteille de cidre car la il y a que du vin à 0.65 le litre. Si tu veux me réécrire tu me dirais ou est le cousin Coquin et s’il vat bien cela me ferait plaisir d’avoir de ses nouvelles je termine en vous souhaitans une bonne santer à tous. Ton cousin qui t’embrasse bien fort. Gallet Gustave 23e territorial 1er compagnie 4e section secteur postal 99 à suivre en campagne.

Queteville est une petite commune normande (département du Calvados) qui compte 438 habitants au recensement de 1911.

7 juillet 1915, Carte postale

Le 7 juillet 1915

Ecris dans la tranchée des Dragons

Cher ami

J’ai quitté le dépôt le 24 juin pour la ligne de feu. Malgré le feu d’artifice des boches, les bombes - obus, fusillades etc etc je suis en bonne santé. Mes amitiés aux amis. Doux souvenir. ... 91e Regt 19e Cie Secti. 99

11 juillet 1915, Carte

Le 11 juillet 1915

Cher mère 

Je vien de recevoire votre lettre qui ma fait un grand plaisire. Je suis toujour en bonne santée. J’ai reçu l’adresse de Jarlier. Je vien de lui écrire. Vous devez vous dépêcher pour finire de faner.Nous retournon dans les tranchées le 12. Ces toujour pareille. Bien le bonjour a tout les voisins et amis. Votre fils qui vous aime et qui vous embrasse. Boudon

Le contenu de cette carte postale (« vous devez vous dépêcher de faner ») rappelle qu’une bonne partie des poilus sont issus de la paysannerie, ce qui n’est guère étonnant dans la mesure où au début du XXème siècle, 38 % de la population active française travaille dans l’agriculture.

15 juillet 1915, Carte de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 15 juillet 1915

Ma petite Mad chérie

Je reste sous le charme de ta chère lettre d’hier et j’oublie ainsi que les PTT revêches m’ont oublié aujourd’hui ! Les paperasses ont rappliqué au galop, et mes instants sont « requis » par le service. Cela ne peut m’empêcher de déposer des baisers ardents sur cette froide carte ; elle te portera les souhaits d’un mari aimant à la veille d’un grand anniversaire !

J’ai reçu une lettre fort gracieuse de Jonzac et je voudrais bien être aussi certain que notre bonne tante paraît l’être de l’obtention de la perme fiévreusement désirée ; j’espère que sa confiance nous portera bonheur. A propos du renseignement qu’elle me demande : parc : oui (superbe même) ; château inexistant. Tu m’avais gentiment questionné, il y a quelque temps, sur le point de savoir si j’étais muni de ceinture ? Je me suis empressé de répondre ; comme tu n’as plus fait allusion à la chose je crains que la susdite réponse ne se soit égarée, auquel cas je pourrais… à tort te paraître indifférent !!! Rassure-moi petite chérie. La pluie et encore la pluie ! Rien à s., si ce n’est un roulement infernal, le « fait nouveau » ne s’est pas encore produit. (Prière à part, esprit subtil, de vouloir bien glisser dans ta prochaine un cercle… en fil). Mille aimables bécots aux chers nôtres, et pour toi, ma petite épouse bien-aimée, accueille toute l’expression de ma tendresse dans mes plus chauds baisers. Ton poilu.

[Au recto, au-dessus de l’image "Aspect du village de Monceaux-les-Provins après le passage des Allemands" : Souvenir de campagne.]

On retrouve dans cette série de lettres et de cartes postales le style d’écriture remarquable du caporal Rosset-Bressand qui contraste avec celui de la carte postale précédente. Il est évident que, issu d’un milieu social élevé, Léon Rosset-Bressand possède des capacités épistolaires très au-dessus de la moyenne. Sur le front les diverses classes sociales se mêlent même si des hiérarchies subsistent (les classes populaires sont quasiment toujours au bas de l’échelle des grades). Ce mélange des catégories est à la fois une occasion de frayer avec des personnes différentes de celles que l’on rencontrerait en temps de paix mais aussi une source de tensions liées aux différences de culture, de centres d’intérêt, d’habitudes de vie.

Jonzac est une petite sous-préfecture de Saintonge, au sud de la Charente-Maritime (3 200 habitants au recensement de 1911). Léon Rosset-Bressand évoque ici l’attente fiévreuse d’une permission qui lui permettrait de retrouver sa jeune épouse. Les permissions existent dans l’armée française  depuis 1890 mais au début à la déclaration de guerre, elles sont suspendues car ne rentrant pas dans la logique d’une guerre courte où il convient de mobiliser tous les hommes disponibles.  Mais avec la prise de conscience que la guerre sera plus longue que prévu, l’Etat-major change de position. Le 30 juin 1915 le général Joffre autorise la mise en place de permissions que la circulaire du 12 août 1915 fonde sur l’ancienneté de présence sur le front. Mais le système présente de nombreuses injustices : les officiers sont favorisés par rapport aux simples soldats et les unités relativement à l’abri par rapport à celles plus exposées (en effet, lors des offensives les permissions sont suspendues pour les régiments engagés). Le 1er octobre 1916 le système est rendu plus juste en alignant les officiers sur le droit commun et en octroyant de manière systématique trois permissions par an.

22 juillet 1915, Carte de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 22 juillet 1915

Ma petite chérie

Je suis encore sous la mauvaise impression de ta gentille carte d’hier… au ton si triste ! Je voudrais bien vite apprendre qu’une vaillante et fière Française a chassé le cafard ? fais lui… au poilu, ce plaisir de conserver une grosse dose de patience et tout ton courage ; nous traversons une crise… faut prendre avec brio le tournant dangereux derrière lequel on aperçoit la gloire et la paix.

Mes artistes, sculpteur, graveur, etc. … sont d’une lenteur désespérante et je ne puis guère rouspéter – car les raisons qu’ils me donnent de cette indifférence… apparente sont généralement sérieuses !

Le temps est orageux et ma vieille migraine de septembre-décembre 1914 a rappliqué au galop, c’est un petit malheur : le poilu a ses vapeurs… J’ai trouvé quelques cartes postales à… par l’intermédiaire de Mercé ; j’en commence l’envoi aujourd’hui : tu voudras bien, ma chérie, les mettre de côté. Rien à signaler ici ; Emile me laisse toujours sans nouvelles, je lui expédie un mot par même courrier.

Les braves Belges s’acclimatent-ils à Archiac ? La population doit les accueillir avec empressement ? Un cordial salut au jeune bof, sans oublier ses frères à l’occase.

Beaucoup de baisers autour de toi, et pour toi, ma petite Madeleine adorée, en ce jour de ta fête où j’aimerais être ailleurs, je réunis un énorme bouquet composé de douces bises et de chauds bécots : je l’offre avec toute l’ardeur de mon amour et j’ose espérer que tu l’accepteras. Ton poilu qui t’aime plus fort que jamais.

[Au recto : n°1 Souvenir douloureux de la « Kultur », aux armées 22 juillet 1915.]

La remarque préliminaire sur le « cafard » de l’épouse permet de rappeler que le poilu, outre ses angoisses personnelles, s’inquiète aussi du moral de ceux qu’il aime. Le texte mentionne aussi des réfugiés belges installés à Archiac, petit bourg (802 habitants en 1911) de Charente-Maritime. Durant la Première Guerre mondiale, 1 million de Belges (sur une population totale de 7, 7 millions de personnes) ont fui leur pays occupé par les Allemands et se sont réfugiés aux Pays-Bas (restés neutres), au Royaume-Uni et en France. L’accueil dans ces deux derniers pays est globalement bon car les Belges sont nos alliés (« les braves belges »). La Saintonge, comme beaucoup d’autres régions à l’arrière, est une terre d’accueil de réfugiés venant des zones envahies par les Allemands (par exemple la ville de Jonzac abrite des réfugiés de Béthune et celle de Pons des orphelins serbes).

23 juillet 1915, Carte postale

Le 23 juillet 1915

Ma bien cher mère

J’attend tout les jours de vos nouvelles mes point. Voilà de puis le 7 que je n’est rien de vous. J’ai reçu le coli je suis toujour en bonne santée. Ce matin nous avons fais une marche de 24km et demain nous allon continuer de faire les tranchées au de vant de Reims. Ne tarder pas a me faire réponse et de m’envoyer quelque sous. Vous me direr si vous avez reçu la bague. Je termine ma cher mère en vous embrassant. Boudon

Cette carte postale est l’occasion de rappeler que Reims est sur le front et que le réseau des tranchées commence à la périphérie de la ville. On retrouve aussi les problèmes financiers que rencontrent les poilus. L’allusion à la bague évoque un objet fabriqué à partir de matières premières comme le laiton, le cuivre, l’aluminium, récupérés sur les douilles des balles ou des obus : c’est l’artisanat de tranchées.

25 juillet 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 25 juillet 1915

Ma chère petite Mad 

Je suis bien heureux, et cette fois, … sans mélange, de lire une nouvelle charmante lettre (celle du 23 ct) ; tu parais avoir complètement oublié la migraine : tous mes compliments, ma chérie, mais ne te fais plus de mousse rapport aux erreurs, puisque excusables de la poste, je les déplore avec toi mais les réceptions se font maintenant ponctuellement (48 heures de voyage) : cela doit nous rassurer et apaiser un peu la soif… naturelle qui nous dévore !

Les tuyaux que tu me donnes m’intéressent beaucoup, et tu serais mignonne au possible de vouloir bien continuer à m’entretenir de toutes ces choses qui me rattachent à vous-mêmes et à la vie normale. Si j’ai bien compris : les Pradel ont eu le toupet d’enlever de la cave des histoires qui ne leur appartenaient pas ? Est-ce là le résultat d’un malentendu ? Tu as parfaitement eu raison de conserver la clef ! De plus en plus, j’espère que cet excellent Ram… ne sera pas ravi à notre affection… professionnelle ! Quant à Jack, je ne pense pas qu’il ait le temps moral de se préparer à tirer… la ficelle du  « glorieux  75è » avant le 1e janvier 1916 : la bête immonde aura alors demandé grâce !

Dans le dernier groupe photog., as-tu remarqué le cher objet que ton poilu tient joyeusement en sa dextre ? C’était le soir, le vaguemestre avait passé et l’on avait reçu de ses nouvelles !!! pardon d’insister. 

Je n’ai pas eu grand peine à marquer d’un double trait d’amour la date fêtée du 22, puisque je ne cesse pas de penser à toi…

Ces braves P.G. sont autrement intéressantes que les feuilles de choux trouvées dans la région (elles brodent peut-être trop !) j’ai constaté avec tristesse sur l’une d’elles, la mort d’un camarade : Gendeau, et celle du fils ou de l’un des fils, l’aîné sans doute, de M. Chambarrière ; Drouin ne m’en avait pas parlé. Si je ne craignais pas d’être indiscret je vous prierais de récidiver !

Temps pluvieux, comme chez vous – pas de vent si ce n’est un déplacement d’air fréquent que, Dieu merci, vous ne pouvez pas connaître ! A demain, de tout mon cœur je t’embrasse des millions de fois bien tendrement. Ton poilu qui t’adore. Bonnes amitiés à Jack.

[Au recto : (n°3) Aux armées – ce 25 juillet 1915.]

On voit ici l’importance pour le soldat de recevoir des nouvelles de la vie à l’arrière car, comme l’explique le caporal Rosset-Bressand, elles le « rattachent à la vie normale ». Il y a encore à ce moment de la guerre l’idée que la victoire ne saurait tarder puisque « avant le 1er janvier 1916 la bête immonde (c’est-à-dire l’Allemand) aura alors demandé grâce ». Les P. G. citées dans le courrier sont selon toute probabilité des exemplaires du quotidien la petite Gironde qui est avant 1914 un des grands quotidiens régionaux français avec un tirage de 200 000 exemplaires par jour. Son étiquette politique est républicaine modérée.

26 juillet 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Ce 26 juillet 1915

Aux armées, lundi soir 

Ma petite chérie

Cette semaine est bien triste, hein ? doublement car les autres ne sont pas précisément gaies, pas moyen de secouer les sombres pensées, les souvenirs de féérie nous enveloppent : tu te souviens, pauvre, pauvre chérie comme nous étions malheureux… ? Ce sont là des heures que l’on n’oublie pas ! malheureux nous le sommes toujours, mais avec plus de douceur peut-être ; nous avons le courage de faire face aux événements, aux longs jours de séparation et l’espoir du retour prochain et… de la réparation nous soutient énergiquement.

Quand, histoire de prendre l’air sans trop de risques… j’ai le rare loisir d’errer dans les allées du grand parc désert j’aperçois là-bas ! une image chérie : c’est ma petite fée, je la voudrais près de moi dans cette belle campagne qui rappelle la jolie Saintonge… avec de l’eau. Ah ! si la prudence, la consigne tout enfin n’opposaient leur implacable veto à ce rêve de folie, combien j’aimerais te faire respirer l’air pur de la somptueuse vallée qu’ils n’ont pas su respecter, les affreux vandales !

Nous avons toujours le même temps : pluvieux, venteux et bruyant, l’humidité ne convient guère à ceux qui sont prédisposés aux rhumatismes et, cependant, je crois que rapport aux épidémies, cette température est préférable a un été chaud et sec ?

Je lis sur un journal du jour que la classe 17 sera appelée en commençant par l’S., Jack a donc encore des vacances en perspective. Claude détient-il toujours les fonctions d’instructeur ? Plus de migraines, dis ?

A demain, ma chère petite Mad, la joie de te lire en attendant des jours plus heureux.

Je te charge d’une gerbe de bécots pour ton cher entourage et je te réserve les plus savoureuses et les plus ardentes fleurs de ce bouquet du petit jardin de mon cœur… si je ne suis pas beaucoup prétentieux ! Puis je t’étreins de toutes mes forces sur ma poitrine de poilu. Le celui de celle qui est adorée. Ton tout tien.

[Au recto : (n°4) Aux armées ce 26 juillet 1915.]

27 juillet 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

27 juillet 1915  

Aux armées ce mardi soir 

Ma petite Mad chérie 

Comment vas-tu ? Comment êtes-vous tous ? J’aurai certainement une gentille lettre demain, alors je me raisonne et attends, avec autant de patience que possible, le prochain courrier ! Nouvelles peu intéressantes, encore et toujours la sempiternelle pluie, les chemins sont transformés en autant de cloaques où l’on patauge comme… dans la voie des Cossus Ce déluge doit impressionner les sales boches qui demeurent bien sages.

Comme par hasard, je navigue (c’est facile, voir plus haut !) entre mes papelards qui sans cesse augmentent… et mon service actif, tu ne m’en voudras donc pas de réduire aujourd’hui ma prose à la portion congrue ; je suis pris entre deux occupations impérieuses ! Les journaux sont bien monotones, le « Matin » que nous recevons assez régulièrement à la popote rappelle dans un court article « il y a un an » les prolégomènes du drame, il n’est pas besoin de ces entrefilets pour avoir présents à la mémoire et au… cœur les événements affolants.

Mille choses affectueuses aux chers nôtres et pour toi, ma Mad très chère des millions de baisers doux et tendres du vieux soudard qui t’adore. Ton tout à toi. 

Notre bonne tante a eu l’amabilité de renforcer la provision de citron qu’elle m’a constituée.

[Au recto : (n°5) Aux armées, le 27 juillet 1915. A la Mad de son poilu qui l’aime.]

On a là encore des annotations sur la vie du poilu qui n’est pas toujours faite de combats mais souvent de routine et d’ennui. Le Matin est un des plus importants quotidiens nationaux français. En 1914, il tire à un million d’exemplaires par jour. Comme dans le courrier précédent on voit que le caporal Rosset-Bressand a accès à la presse et qu’il s’intéresse à son contenu mais il convient de rappeler que du fait de sa position sociale, il n’est pas vraiment représentatif du poilu de base.

29 juillet 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées ce 29 juillet 1915

Ma petite Mad chérie

Les jours se suivent et se ressemblent en leur déconcertante uniformité ! Un bon moment, un quart d’heure exquis, c’est le dépouillement du courrier, c’est la trêve aux souris… de tous calibres, …après on vit de ses pensées, on fait son possible pour sauver, selon l’expression de mon paternel, son pays et sa peau ! La perspective de la perm. nous a si tellement troublés que maintenant je voudrais en profiter sans délai ; à ce sujet on m’a fait entendre une bonne parole, à savoir que l’on pensait à bibi en hault lieu et que le jour viendrait où je pourrais aller te presser sur mon cœur, et vous embrasser tous… pourvu que cette heure divine ne soit pas trop éloignée ! 

La pluie a cessé et à travers les feuillages de ma « citadelle » j’aperçois une timide Phoebé, elle te transmettra mon baiser… Les avions ont gracieusement pris la place des nuages et l’on assiste à des duels palpitatoires. 

Grâce au sac frigorifique ai évité pas mal rhumatismes au cours des derniers orages. Très juste ton appréciation sur le rejeton de la  J… L… : y a des gens qui ont toutes les veines et tous les chulots… Remarqué dans P.G., que vous eûtes la gentillesse de m’envoyer, un feuilleton, à son début, de Marcelle T., le suis-tu, chérie ?

Continue à faire preuve d’une courageuse patience, conserve une santé parfaite, ainsi que tous les nôtres, et reçois, mon adorée, en attendant mieux, les lointaines bises amoureuses du poilu qui t’aime. Ton tout tien.

De grosses embrassades autour de toi sans oublier Jacques et les gentils cousines et cousins.

[Au recto : n°6 et dernier de cette petite collection. Tu te souviens, ô mon épouse aimée ? C’était le soir, suis tombé en arrêt devant l’auguste basilique, témoin de nos gloires nationales ; je regrette vraiment de n’avoir point su lui faire le lendemain une visite matinale !! Seulement voilà… le bonheur rend égoïste ! Et comment nous douter alors que nous étions à l’avant-veille de cette monstrueuse profanation ? Souvenir ému à ma Mad.]

Le caporal Rosset-Bressand évoque dans cette lettre les engagements aériens. De fait la Première Guerre mondiale voit les débuts de l’aviation militaire moderne. Le premier combat aérien a lieu le 5 octobre 1914 au-dessus de Jonchery-sur-Vesle, près de Reims. Vu des tranchées en 1915 ces combats peuvent encore apparaître comme des combats singuliers entre aviateurs (« duels palpitatoires »). Mais à la fin du conflit l’aviation est devenue une arme de masse : en 1918, la France met ainsi en ligne 3 600 appareils. L’allusion au « rejeton de la J…L… » et la remarque qui suit évoquent selon toute vraisemblance le cas d’un jeune homme qui a dû se faire exempter ou éviter un poste sur le front grâce aux relations de ses parents (le « piston »).

5 août 1915, Carte postale

5 août 1915

Ma chère Augustine

Je suis en bonne santé les Boches nous servent des marmites. Recevez mon meilleur souvenir et amitiés de Gilles G.

Dans l’argot des poilus, le terme « marmite » désigne les projectiles allemands et en particulier ceux venant des obusiers de l’artillerie de tranchée (les minenwerfer).

5 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées ce 5 août 1915

Ma chère petite chérie

Que te raconterai-je de neuf ? nib de nib… pensées assombries, idées verdâtres, pluie, vent, température écrasante, canons sur terre et dans les airs, toujours les mêmes scènes quotidiennes du grand drame avec ses héros obscurs et ses dévoûments héroïques ; la cruelle séparation qui s’éternise me paraît encore plus lourde… Claude vous a-t-il fixés sur sa destination ? n’ai pas le loisir de me véhiculer vers l’arrière, lorsque le service « actif » ne me prend pas, je me plonge dans ces affreuses paperasses qui me submergent, et pendant ce temps là d’autres dossiers d’un intérêt certes plus immédiat dorment dans ma pauvre boîte délaissée ! parfois je me révolte, ah ! quoi bon ? on travaille pour la Patrie et toutes les énergies galvanisées par le devoir doivent tendre vers un seul but : "la Victoire" finale ! Il est bien exact, je viens de lire l’ordre et les prescriptions qui en découlent, que notre correspondance va être soumise à une censure préliminaire au Corps où dans quelques jours les lettres ouvertes et les cartes seront seules admises, je continuerai donc… à être discret, mais je n’apprécie pas beaucoup ces mesures inquisitoriales. Une consolation me reste… c’est que je recevrai les chères lettres de ma petite Mad… sans changement.

A un autre point de vue, dans le même ordre d’idées ; il est rigoureusement interdit d’envoyer aux poilus des alcools et si cette défense est enfreinte par ceux qui… compatissent à notre pépie on déverse en présence du destinataire désolé et impuissant le contenu des fioles prohibées : c’est la guerre ! ! ! on craint des abus… 

Je te parle d’alcool sans rime ni raison hein ? pas tout à fait cependant : notre tante avait, en effet, eu la gracieuseté de me demander il y a quelque temps, comment on pourrait expédier sur le front un échantillon de votre élixir de longue vie ? tu voudras bien lui dire à l’occasion pourquoi la chose est impossible.

Au revoir ma chérie, à demain de… très loin, à bientôt de tout près !... Distribue de gros baisers autour de toi et conserve pour celle que j’aime les plus tendres de tous les bécots. Je t’embrasse encore à pleines lèvres, ton poilu qui t’adore.

[Au recto (cathédrale de Reims en flammes) : Les augustes ruines crient vengeance ! Ce crime ne restera pas impuni ! Nous l’avions admirée dans sa splendeur, à travers notre bonheur et… la nuit. De tout mon cœur à toi. Aux armées ce 5 août 1915. Reproduction impressionnante d’une illustre agonie !]

 

Ce courrier fait allusion à la censure du courrier. C’est en janvier 1915 que le Haut Commandement décide de mettre en place un contrôle spécifique du courrier des soldats. Deux buts sont visés : d’une part faire la chasse aux indiscrétions qui pourraient faire le jeu de l’ennemi, d’autre part se faire une idée de l’état d’esprit des combattants. Au départ, et la lettre de Rosset-Bressant y fait allusion, l’obligation est faite aux soldats de remettre aux vaguemestres (facteurs militaires) leurs lettres  non cachetées. Mais dès l’été 1915 cette obligation est supprimée face à l’hostilité de la troupe. On met alors en place un contrôle aléatoire des sacs postaux qui dans les faits ne dépassera pas 2 à 4 % des 2,4 milliards de lettres envoyées par les poilus.

Le caporal Rosset-Bressand évoque aussi l’interdiction d’envoyer de l’alcool aux poilus. Avant-guerre,  pour l’armée la boisson normale est l’eau.  Le vin, la bière, le cidre, considérés comme boissons « hygiéniques » sont réservés aux manœuvres et les alcools forts sont prohibés. Ces règlements détonent d’ailleurs dans une société où l’imprégnation alcoolique est forte (au début du XXème siècle, si l’on divise la consommation d’alcool par la population française totale on arrive à 30 litres d’alcool pur par an et par habitant !). La guerre fait entrer le vin dans l’ordinaire des soldats puisque chaque poilu en reçoit  un quart de litre quotidien à partir de novembre 1914, quantité doublée en 1916 et triplée en 1918. Les raisons de cette dotation sont multiples : sanitaires (l’eau sur le front n’est pas toujours potable), économiques (débouché pour les vins médiocres des producteurs du midi ou d’Algérie), politico-culturelles (le « pinard » français opposé à la bière allemande). Théoriquement, en dehors de ces dotations l’alcool est interdit. Mais la réalité est bien différente. Les soldats ont le droit d’acheter des vins et vins doux naturels (< 18 degrés) dans les débits de boisson ou les camions-bazars. Quant aux alcools forts il existe nombre de circuits parallèles (débits de boissons clandestins, colis familiaux du moins quand ils ne sont pas contrôlés comme dans l’exemple de Rosset-Bressand, achats directs aux producteurs de la zone des armées, voire pillages). Tout cela fait que la consommation réelle est beaucoup plus élevée et d’ailleurs sélective (vins fins pour les officiers et les soldats qui ont des moyens financiers, « gros rouge » pour le poilu de base), d’autant que beaucoup d’officiers font preuve de tolérance face à une alcoolisation qui permet de compenser la difficulté de la vie du poilu, du moins tant qu’elle ne rend pas le combattant inapte. Au total, si l’armée n’organise pas cette alcoolisation massive et systématique si souvent évoquée, elle entretient une relation pour le moins ambigüe avec l’alcool.

8 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées ce 8 août 1915

Ma petite Mad chérie

 Comment vas-tu aujourd’hui ? Je viens de recevoir les P.G. des 28 et 29 juillet, la dernière envoyée portait la date du 20 juil. c’est bien cela ? Je t’en remercie infiniment. Me permets te faire remarquer que timbre est un luxe non indispensable.

Toujours la même existence agitée et laborieuse, émotionnante souvent, également triste et monotone, rien à faire pour lutter contre le spleen ; faut savoir attendre et ce n’est pas fort aisé. Demain commence la période transitoire, avec l’installation du cabinet noir, après laquelle (dans dix jours) viendra la période de censure au Corps, dont je t’ai antérieurement parlé. Claude a-t-il pu vous donner quelques détails préliminaires : installation et impressions – une autre comparaison entre les débuts du brave bof et ceux de ton vieux poilu : nous avons l’un comme l’autre fait nos entrées aux armées par la 18e Cie, … j’ai, il est vrai, abandonné 18e très vite, rapport à mes fonctions civiles, pour me fixer immuablement à la C.H.R.

L’indigène de St Martial se nomme Bruat !... n’ai pas eu le temps d’interviewer les autres compatriotes de notre Saintonge, tu veux bien « nôtre » ?

Nous avons, comme vous, une température écrasante ; les avions se livrent à leurs habituels ébats, sous un ciel redevenu bleu et l’on oublie facilement en admirant leurs évolutions qu’ils sont entourés de flocons tantôt blancs tantôt noirs, lesquels flocons marquent le passage des engins meurtriers ; nous sommes… en guerre ; ça tape dur ! A demain ma petite Mad chérie, beaucoup de bécots autour de toi et pour toi, que j’adore plus fort qu’au premier jour… mes baisers fougueux mais bien tendres quand même. Ton poilu qui t’aime. Inclus une rescapée de la flore ?

[Au recto, sous l’image : Souvenir de guerre – 8 août 1915.]

Dans cette lettre, le caporal Rosset-Bressand remercie son épouse de lui avoir envoyé des exemplaires récents de la petite Gironde. Léon Rosset-Bressand évoque aussi le spleen du poilu, ce qu’un combattant moins cultivé appellerait le « cafard ». Il montre bien la dualité de la vie du combattant : d’un côté l’existence « laborieuse et agitée », celle des missions militaires mais aussi, d’un autre côté, celle de la « monotonie » et de l’attente, « faut savoir attendre et ce n’est pas fort aisé ». Le fait qu’il demande à sa femme si elle accepte qu’il parle de « notre Saintonge » s’explique par le fait que lui-même est originaire du département de l’Isère.

16 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 16 août 1915

Ma Mad bien-aimée

Le courrier a manqué ce jour d’hui sur toute la ligne ; je ne t’étonnerai pas en te répétant une ième fois que cet isolement nous prive beaucoup ! On était moins difficile aux jours sombres du mois d’août hein !! Il fallait alors se contenter des nouvelles fraîches de huit jours… et encore on était divinement heureux de les recevoir quand… on les recevait.

Avec la Marne l’espoir a changé de camp et le service de la correspondance avec les Poilus s’est organisé méthodiquement. J’ose croire, si j’en juge par… notre exemple, que le véhicule du moral a pris une considérable extension. Nous ne ferons rien pour la réduire, s’pas ??? La censure ayant légèrement atténué ses rigueurs, je continue l’expédition des vues de patelins plus ou moins martyrisés par les Barbares. Depuis que leur ligne a reculé, lors de la fameuse bataille, ils ne sont plus sur… le front (les patelins !) : donc je ne me mets pas hors la loi ; une autre considération influence ma décision : je te fais plaisir, m’as-tu affirmé dans une récente lettre en t’envoyant ces tristes résultats de la supériorité Kulturale ! Voilà qui est l…t parlé pour ne rien dire, hein ? c’est que je n’ai rien de neuf à t’apprendre : on devient tous les jours un peu plus amorphe. Pluie (eau et gaz à toutes les altitudes), quelques explosions. Embrasse s.t.p. Maman, Papa, bof sans oublier les hôtes de Pimbert et conserve pour toi, ma Mad chérie les pensées très douces et les baisers très tendres du vieux poilu qui t’adore.

Dans ce courrier Léon Rosset-Bressand évoque la retraite d’août 1915 et la victoire de la Marne. On voit bien ici l’impact que cette dernière a eu sur le moral des combattants (« l’espoir a changé de camp »).  Il évoque aussi la désorganisation du service postal au début de la guerre qui est une réalité mal vécue par les combattants. En effet, dès le début de la guerre, de très grandes difficultés sont apparues à cause de la conjonction de la masse de courrier et du grand nombre de facteurs mobilisés. A la fin de l’année 1914 des mesures sont prises avec la création des secteurs postaux et le remplacement des facteurs mobilisés par des facteurs retraités et des femmes (la Première Guerre mondiale voit l’apparition des premières factrices).

17 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

17 août 1915

Aux armées mardi soir.

Ma petite chérie

Je reçois à l’instant ta longue et intéressante lettre du 15 août – je te remercie espécialement d’avoir bien voulu me gâter ainsi pour le 17 août ! - on était certes plus joyeux il y a deux ans !!! les beaux jours reviendront. Mais défense expresse d’être malade… j’espère que ton malaise s’est dissipé ? chose curieuse : j’éprouve les mêmes ennuis, nos joies et nos peines sont communes – je souhaite une meilleure santé à Maman. Au sujet de la fameuse censure, tu trouveras ci-joint un entrefilet émanant de notre Bulletin Officiel ; tu y liras simplement la confirmation de mes dires antérieurs.

Oui, petite chérie, je préfère le format le plus vaste… il ne faut pas, du moins, que cela te fatigue ; tu as parfaitement compris, petite malicieuse, que le cabinet noir n’était pour rien dans un désir plus ou moins mal exprimé par bibi ! à savoir large format et grande enveloppe, cette formule était tout modestement une manifestation de la tyrannie des Poilus, tu peux donc en prendre et en laisser…

Je compte certainement être prévenu 4 ou 5 jours à l’avance de mon départ pour la trêve sacrée : nous devons indiquer une destination (et un seul lieu) puis une fois rendu à cette destination, il nous est loisible d’obtenir l’autorisation (par le Comdt de place) de nous déplacer au moins une fois en faisant valoir des raisons urgentes ; … avec des démarches et une forte perte de temps, on s’en tire toujours sur notre belle terre de France !

Comme je suis fâché de t’avoir froissée sans le savoir ! il me serait bien difficile, pauvre chérie de t’attribuer sérieusement certains défauts, puisque je ne t’en connais pas ; soit dit sans blesser ton amour-propre, t’es une petite épouse parfaite !!! et cette conviction me rend plus intolérable encore la longueur de notre séparation… je me décide avec entrain à barbouiller une autre feuille.

[Au recto : A ma Mad chérie, son Léon ! n°7 Souvenir du 17 août 1915.]

On sent dans cette lettre l’impatience du caporal Rosset-Bressand à partir en permission, la « trêve sacrée ».

18 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 18 août 1915

Ma chère petite Mad

C’est sous le charme de ta longue et affectueuse lettre d’hier que j’écris en G.V. les courtes lignes présentes. Je voudrais bien savoir comment tu te trouves ce soir ? j’aimerais surtout apprendre que ta fatigue s’est évaporée ? un peu de patience, mon vieux poilu, et demain tu seras satisfait ! voilà : depuis plus d’un an, les « exilés de la patrie » sont soumis au… monologue.

Faut pas te faire de mousse rapport à ma chancelante ; je ne suis pas encore trop « décati » et j’espère bien pouvoir tenir jusqu’au bout ; on est simplement grippé (un soupçon) et le rhumatisme (moral autant que physique) subit l’influence fâcheuse d’une température instable : la chaleur a disparu et… on la regrette déjà ; depuis 24 h un épais brouillard s’étend au loin dans la vallée et la fraîcheur nous inonde : serait-ce l’automne ???

Tu vois comme on est devenu sauvage, homme des bois, je parle de moi et je ne t’ai pas encore demandé des nouvelles de notre chère Maman ; je souhaite que ma babillarde la trouve complètement remise de son malaise ; toujours prête à faire plaisir aux membres de son entourage. Elle se donne sans doute trop de peine ? tu voudras bien lui offrir mes vœux de meilleure santé.

Mille choses affectueuses à Pimbert ; bons bécots aux Parents et bofs. En attendant, avec un irréductible espoir, des jours meilleurs, je t’adresse une giboulée de baisers doux et tendres et te prie d’accepter ce pieux témoignage d’amour cueilli dans un enclos du champ de bataille sous les éclatements. Ton vieux poilu qui t’adore.

[Au recto, sous l’image (rue Saint-Symphorien de Reims dévastée par les bombardements) : Autre formule de la sauvagerie boche – 18 août 1915. n°8]

Il y a dans cette lettre essentiellement des remarques personnelles tournant autour de la santé des proches et aussi de celle de l’auteur du courrier.

20 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 20 août 1915

Ma chère petite Mad

Je reçois à l’instant même ta charmante petite lettre du 18 ct  et je t’en remercie beaucoup. Les beaux œufs, bien frais, et superbes d’allure sont en toute franchise arrivés en parfait état ; et je t’assure que les deux premiers (que je viens d’absorber goulûment) étaient exquis [le cuistot auquel je les avais confiés me les a préparés « à la coque », un vieux croûton formant instrument porteur aux lieu et place du truc à la Ch. Colomb", mal d’estomac, migraine fébrilité grippale sont déjà atténués par ce léger souper. Je ne sache pas… sauf indiscrétion en ce disant, qu’une défense quelconque soit opposée au transport de ces primeurs !

Les noisettes sont d’autant plus appréciées qu’elles ont peut-être été cueillies par ta chère petite menotte. Ai tenu compte, par anticipation… de tes observations ma Minerve… devinée, quant à ce jeune homme il est pour l’instant sérieux au possible… il n’a pas le moyen de ne pas l’être ici !!! je n’ai pas eu l’occasion de le revoir, non plus que l’ * dont le nom m’échappe et, d’ailleurs, je n’ai guère le cœur à me forger des relations militaires aujourd’hui, alors que je viens de passer par de terribles émotions ; depuis longtemps je n’avais pas vécu d’heures aussi tragiques ni vu des spectacles aussi horribles ; pas mal de casse autour de moi, suis intact et sans doute vacciné pour quelque temps. T’en fais pas : ou bien je regretterais d’avoir eu la langue un peu longue. Merci pour les bonnes nouvelles que tu me donnes de Jonzac : je pige mais mes méninges faisant l’atrophie absolue je te suis reconnaissant du rappel.

Je donne beaucoup de travail à ma blanchisseuse en grimpant rapport à ce satané rhume. Emile va de mieux en mieux, tu es fort aimable de lui écrire ; de lui, ni de Claude je n’ai pas de lettres ; ce sera pour demain ou les jours suivants.

Amitiés à Jean, si vous le possédez, sans oublier ce brave Jack. Pour toi, ma Mad adorée, les baisers les plus doux, les pensées toutes du vieux soudard qui t’aime à la folie, passionnément.

[Au recto : Doux souvenir à la chère petite Moitié du Poilu en campagne. En guerre, le 20 août 1915.]

Le courrier commence sur un ton léger avec le remerciement des produits reçus par colis, des œufs frais, des noisettes mais incorpore aussi l’horreur des combats : « je viens de passer par de terribles émotions ; depuis longtemps je n’avais pas vécu d’heures aussi tragiques ni vu des spectacles aussi horribles ; pas mal de casse autour de moi, suis intact et sans doute vacciné pour quelque temps ». Léon Rosset-Bressand ne donne pas d’informations plus précises sur ces combats, d’abord parce que c’est interdit mais probablement surtout parce qu’il ne veut pas inquiéter son épouse : « T’en fais pas : ou bien je regretterai d’avoir eu la langue un peu longue ».

21 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 21 août 1915

Ma chère petite chérie

La séance continue et il est difficile de caligraphier… pluie, fraîcheur, engrippé comme devant ; viens de déguster mes deux beaux « cocos » et je me trouve fort bien de ces soupers extra-légers qui me procurent de vrais sommeils.

Au courrier assez bousculé, d’ailleurs, une seule lettre d’Emile qui va beaucoup mieux puisqu’il se lève et commence à prendre du solide ; il me demande de tes nouvelles et me donne, sur ma demande, quelques conseils médicaux.

Le travail « bureau » est plutôt troublé ; pour tromper les énervantes préoccupations… du moment l’officier s’entretient tranquillement avec bibi de la situation militaire, extérieure et intérieure ; elle n’est pas toujours rose la vie du front !!!

Jean a-t-il pu obtenir sa permission ? tu me demandais ce que j’espérais de la mienne ? nos questions se sont croisées ; c’est que les combattants de la première heure ne sont pas très favorisés et on ne sort pas de la fournaise avec facilité ; où ce que la chèvre est attachée faut qu’elle broutte ! !! et il y a longtemps que nous sommes… à la campagne !

Je t’écris avec difficulté, en usant de moyens de fortune. A demain, ma chérie.

Je t’embrasse tendrement à pleines lèvres. Ton vieux Poilu qui pense sans cesse à celle qu’il aime. A toi toujours. Mille baisers aux chers Parents et bofs.

[Au recto : 21 août 1915. A sa chère petite Mad, le Poilu]

On voit Léon Rosset-Bressand s’entretient avec un officier sur « la situation militaire, extérieure et intérieure ». On sent bien qu’au-delà de la différence bien réelle de grade il existe, du fait du niveau d’études et de la profession de Léon Rosset-Bressand, une certaine connivence de milieu social. Il y a aussi une indication sur les difficultés d’obtenir une permission.

22 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées ce 22 août 1915

Ma Mad bien aimée

Je reçois et lis avec bonheur ta lettre affectueuse et documentée du 20 courant : comme devant, je ratifie de grand cœur en les approuvant pleinement, tes sages résolutions concernant maison, locataires et résidence.

J’espère toujours obtenir bientôt ma chère permission, il faut quand même compter avec les imprévus de la guerre ; je te dis, à nouveau qu’un seul lieu de destination doit être indiqué, libre à moi ensuite si j’en ai le temps (car les heures nous sont parcimonieusement octroyées) de me faire accorder des sous-permissions.

Nous jouissons d’une courte accalmie, qui favorise légèrement une détente nerveuse ; on en avait bien besoin ! n’empêche que je t’écris en vitesse pour en pas manquer le courrier au retour d’un service, compliqué de fréquents saluts à la terre ! - dans un bois qui essuie quotidiennement le salut de l’ennemi, j’ai découvert les petiotes fleurettes jointes que tu accepteras en témoignage de mes constantes pensées !!!!

Moral stationnaire ; au p. de vue du physique, la pseudo-grippe me laisse mieux accomplir les devoirs de ma fonction, ayant cessé d’être fébrile. Temps pluvieux et frais.

J’ai reçu un mot gentil du bof Claude qui a reçu le baptême du feu dans les tranchées de première ligne avant que d’aller un peu à l’arrière goûter un repos bravement mérité. Oui, juste il y a un an ! la guerre, comme la vie est un éternel recommencement.

Mille choses affectueuses autour de toi et jusqu’au castel Pimbert. Pour ma chérie les baisers les plus doux, tout l’amour de qui l’aime follement malgré les balles et la mitraille.

[Au recto, sous l’image : Souvenir de la guerre. A ma chérie 22 août 15.]

Dans cette lettre, il y a une allusion aux dangers des bombardements d’artillerie (« dans un bois qui essuie quotidiennement le salut de l’ennemi) et au fait que le soldat doit fréquemment se terrer (« compliqué de fréquents saluts à la terre ») même si Léon Rosset-Bressant parvient à y joindre un message d’amour pour sa femme (« j’ai découvert les petiotes fleurettes…en témoignage de mes constantes pensées »). La Première Guerre mondiale connaît un changement profond dans les conditions de combat. Avec la révolution industrielle les armes sont devenues beaucoup plus dangereuses et leur portée est considérablement augmentée. On ne combat plus comme avant debout et face à un ennemi que l’on voit. Désormais on est sous les obus et la mitraille qui viennent de loin. Le combattant doit donc se cacher, s’aplatir au sol ou dans les trous d’obus. Il faut être visible le moins possible, ce qui explique l’abandon par l’armée française de son ancien uniforme au pantalon rouge et l’adoption du bleu-horizon. 

23 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 23 août 1915

Ma chère petite Mad

Je t’envoie des millions de tendres bécots avec une brindille de fougère cueillie dans le voisinage (je ne sais trop si la fougère représente un symbole !!! accueille là avec cette seule signification que lui donne mon cœur : amour profond). La tempête a repris, mais sans conviction ; et l’on respire tout de même plus à l’aise. La méchante grippe accentue son mouvement de recul, et sauf retour offensif, je l’ajouterai bientôt au passif de la guerre, dans le domaine des oubliettes.

Et toi, mon ange blond, comment vas-tu ? J’espère le savoir demain. Hier, tu me demandais des nouvelles des primeurs de votre basse-cour, demandes et réponses se sont croisées et tu dois aujourd’hui savoir que les beaux œufs frais ont fait un excellent voyage dans un emballage très sûr ; ils ont depuis… accompli un autre voyage parfait et mon estomac reconnaissant vous renouvelle de chaleureux mercis.

Temps redevenu beau et tu constateras que déjà le moral s’en ressent. La situation extérieure paraît, d’autre part, s’éclaircir pour nous qui ne pouvons rêver que plaies et bosses… au moyen d’une mêlée vraiment générale. Oui nous voudrions en finir bien vite, car toujours sous l’influence de ton courage initial, je voudrais bien vite vivre notre divine réunion.

Les terribles… incidents de ces jours derniers ont encore retardé l’exécution de ma commande et j’en suis désolé parce que ce retard a l’air de lui attribuer quelque importance, enfin les circonstances et les difficultés de la guerre plaident pour moi « non coupable » !

A demain, ma chérie ! – distribue, je te prie, mille bécots autour de toi et conserve pour toi-même toutes mes pensées affectueuses. Je t’embrasse follement bien bien fort. Le vieux Poilu qui t’aime.

On retrouve dans cette lettre le mélange entre les remarques d’ordre personnel (les sentiments pour l’épouse, le réconfort moral apporté par les colis) et celles sur le cours de la guerre : les combats (« les terribles incidents de ces jours derniers »), la situation générale (on ne peut savoir avec certitude à quoi Léon Rosset-Bressand pense quand il évoque une « situation extérieure qui paraît s’éclaircir pour nous » mais on peut penser aux espoirs qu’a soulevés l’entrée en guerre de l’Italie en mai 1915, d’autant que le 21 août 1915, elle vient aussi de déclarer la guerre à la Turquie). 

24 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées ce 24 août 1915

Ma chère petite chérie

Je reçois (et avec plaisir !) ta longue et délicieuse lettre du 22 ct. C’est entendu pour la question lieu destination perme : Bordeaux (quartier général) et l’on fera ensuite, dans le modeste cadre-temps qui me sera dévolu, de son mieux pour répondre aux sentiments affectueux de tous et pour satisfaire à l’appel de notre résidence ; d’ores et déjà je remercie avec affection nos chers Parents de leur gracieuse insistance. Je compte bien pouvoir te prévenir, si pas longtemps à l’avance, du moins la veille de mon débarquement. J’espère toujours pour la fin sept. au plus tard, sauf… empêchements imprévus auxquels… un guerrier doit fatalement s’attendre ! il ne faut peut-être pas attacher trop d’importance aux bruits qui circulent… nous avons pleine confiance.

Seulement, ma petite chérie, je ne voudrais pas que tu sois « patraque », l’air pur de Saintonge te l’interdit ! et de tout mon cœur, je souhaite le départ, sans esprit de retour, des maux de tête dont tu souffres si souvent. Le temps est lourd… pour la saison, mais la grippe s’en va presto et les sales boches sont plus convenables (tout est relatif !) ils ont vu, les maudits, dans la nuit de leurs illusions sombrer une parcelle de leur « avenir sur l’eau » ! Encore et encore de la patience.

Pour obéir à ta sollicitude, j’encaisse le reproche… de fumer d’une façon exagérée ! Seulement, mon amour je ne le mérite pas absolument car nous savons imposer silence… à nos passions et je puis t’assurer que j’ai laissé de côté toute la tabagie au cours de cette quinzaine ; je prends bonne note pour l’avenir.

Oui, ceux qui ont une nichée partent les premiers, mais à la condition qu’ils soient d’une classe plus ancienne ; et pour la présence sur le front, je ne connais pas de prédécesseur… je possède une petite femme adorable qui est mon grand trésor et je n’envie personne, sans cette horrible guerre, je serais le plus heureux des hommes : faisons crédit à l’immanente justice.

Juste ! Mercé est généralement mon fournisseur-courtier – ton terrible torial a dû découvrir ces « vestiges histériques » en opérant des fouilles ; ils sont assez rares dans les tranchées et ailleurs les artiflos les râtissent ; en principe il est dangereux d’expédier ces débris dont le transport est rigoureusement interdit ; je ne puis t’en dire plus long et d’ailleurs, il y a des poilus plus dégourdis ou moins observateurs de la règle… que ton fidèle esclave et respectueux serviteur !!! Reçu faire part décès du père de Desobeau lancé par ce dernier de Rozoy-en-Brie où il a assisté aux obsèques.

Je vais bien fatiguer tes yeux chéris ; excuse moi, la prochaine fois je prendrais… du papier à lettre. Dans ce petit coin, je dépose mes plus doux bécots et te les offre tendrement, ton poilu qui t’adore. J’embrasse affectueusement les chers nôtres.

[Au recto, sous l’image : J’en connais d’autres (villages) qui ont souffert plus douloureusement du passage des cohortes teutonnes.]

Léon Rosset-Bressand revient sur ses espoirs de permission prochaine même si cette permission peut être compromise par une éventuelle offensive (les « bruits qui circulent » concernent probablement les préparatifs de l’offensive en Artois et en Champagne, décidée par le général Joffre et qu’il lancera en septembre 1915). Il évoque aussi un échec allemand qui a « vu sombrer une partie de leur avenir sur l’eau », allusion aux ambitions (non réalisées d’ailleurs) de Guillaume II de se doter d’une flotte de guerre qui puisse rivaliser avec celle du Royaume-Uni. L’évènement auquel fait allusion Léon Rosset-Bressand doit être la bataille du golfe de Riga dans la mer Baltique qui a lieu les 8 et 9 août 1915 et qui voit une flotte allemande échouer à détruire la flotte russe de la Baltique. Son épouse a dû lui reprocher de trop fumer et il s’engage à diminuer sa consommation de tabac. Il faut dire que la Première Guerre a entraîné une augmentation de la consommation de tabac. D’une part on distribue aux soldats du tabac assez grossier, utilisé surtout pour la pipe, et surtout fumer permet d’aider à  supporter la vie des tranchées. La fin de la lettre est une allusion à la récupération par les soldats de souvenirs de guerre, assez souvent des douilles d’obus, même si c’est « rigoureusement interdit ».

26 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 26 août 1915

Ma chérie

Suis heureux de lire ta bonne lettre (n°131 ? parfaitement) du 24 ct ; j’envie le sort du régisseur de notre tonton ; le bénéfice de l’âge acquiert un certain prix par le temps qui court ; il donne dans tous les cas un bel avantage à ses « ressortissants ». Pour le transport des engins dangereux (ou débris) auxquels tu faisais allusion et afin de compléter ma réponse d’hier, je tiens à te faire savoir que nous avons des ordres de défense très sévères et depuis des accidents récents, dont les journaux se sont fait l’écho, accidents arrivés en cours de route, les permissionnaires ne peuvent pas ou ne peuvent plus apporter ces souvenirs… compromettants à leur famille, on les fouille sérieusement au départ ;  à l’état-major où je suis bien placé pour avoir ces tuyaux on doit donner l’exemple ! Ceci uniquement dans le but de te prouver que ma bonne volonté est entière mais qu’elle se heurte à des impossibilités.

Alors les P.T.T. font des manières ? les grincheux ont toujours tort ; ce transport-là est parfaitement admis surtout quand l’emballage est bien compris et je t’assure que la boîte dont s’agit est arrivée en parfait état. 

Oui, espérons que nos fidèles et courageux alliés reprendront bien vite du « ton » ! 

Le temps est horriblement chaud et cet ennui, qui est tout relatif, passerait facilement si, par ailleurs, ça ne chauffait également, et comment donc !!! La vie est devenue extrêmement agitée et vibrante, les jours et les nuits nous réservent de terribles émotions et l’on ne dort que d’un œil, enfin cela finira peut-être un jour et alors nous jouirons pleinement de toutes nos forces rajeunies d’un bonheur acquis au résultat de tant d’efforts, au prix d’une si cruelle séparation.

On se déplace sur place… et c’est encore un em… de plus. 

Encore merci pour ta charmante lettre. Mille baisers autour de toi et pour ma Mad les plus doux de ces bécots. Je t’embrasse encore ici follement de tout mon cœur. Bien des choses aux deux bofs. Ton Léon.

Je veux croire que notre oncle Renaud aura reçu en temps utile la lettre que je lui écrivais le 21 ct.

A toi.

Léon Rosset-Bressand écrit « envier » le régisseur de son oncle, trop âgé pour être envoyé sur le front. C’est là une réaction évidente étant donné les dangers du front. Il revient sur l’interdiction de ramener des débris d’armement comme souvenirs de guerre.

27 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 27 août 1915

Ma chère petite Mad aimée

Deux mots en grande vitesse, ça chauffe dur et le terrain… ne se prête pas aux longs discours ; même que le fâmeux pari mystérieux est devenu malsain !!! Reçu lettre d’Emile qui pense quitter bientôt Bar-le-Duc pour une formation sanitaire de l’Intérieur, via convalo, je l’envie cet heureux veinard !

Tes craintes se justifient en partie, j’ai tout de même bon espoir pour… avant la fin de l’année…

Et lettre de Clément qui mène également une vie agitée.

Mille baisers autour de toi. Je t’embrasse à plein cœur de toutes les forces de mon amour. Ton Léon.

[Au recto : En guerre, le 27 août 1915.]

On a, dans cette lettre, une autre « envie » du soldat, la « bonne blessure », celle qui permet d’être envoyé à l’arrière (à l’exemple d’Emile, dans le courrier).

28 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 28 août 1915

Ma chérie

Je déplie avec empressement et lis avec entrain ton gentil journal du 26 ct. Merci ma Mad, de faire un tel effort en ma faveur ; on te témoignera au jour divin de la réunion, une reconnaissance décuplée ! Je regrette de ne pouvoir te répondre de la même façon ; les circonstances ne s’y prêtent aucunement : j’ai la main affreusement lourde, parce que très lasse et l’esprit détraqué par l’ambiance, je veux dire par l‘avalanche, ajoute à cela une pluie torrentielle au sein d’un orage céleste considérable et tu pourras imaginer, au dessous de la réalité, dans quelles conditions je t’écris : quelle existence infernale !

Bien pour les nouvelles de l’Etude, quant au crédit du Sud-ouest, rien ne presse, ainsi que tu en as parfaitement jugé.

Claude a dû aller assez loin de la ligne pour jouir de son repos, car de notre côté il faudrait faire pas mal de lieues pour découvrir une boisson de ce genre ; il est vrai que nous combattons pour la même cause dans des… secteurs différents et, sans doute, voyez censure, relativement éloignés l’un de l’autre… tant pis, j’aurais b…g…ment aimé le rencontrer le brave marsouin, et choquer une chope à la santé de ceux que nous affectionnons ensemble.

Tu me diras, s.t.p., si un petit colis, fait la nuit passée, est arrivé à destination ?

J’espère que Jack a trouvé tout le monde en bonne santé à Pimbert et que cette agréable sortie lui a fait oublier son malaise. Oui quand finiront nos terribles tourments ? J’apprends chaque jour la mort d’un camarade et parfois, j’en vois tomber autour de moi, que c’est triste !

Je t’aperçois gentiment assise à la petite table… et je t’envoie un baiser d’amour de mon coin sombre où suintent les gouttes d’eau ; il fait comme chez toi une chaleur écrasante malgré la pluie qui tombe et il est cependant près de minuit : les détonations secouent ma cagnah et demain je pars matin pour le poste de commandt, aussi ne vais-je pas tarder à m’allonger… sans te quitter au moins par la pensée et par le cœur.

Merci encore, chère petite femme, pour ta chère longue lettre, elle m’a bien fait plaisir. J’embrasse affectueusement tous les nôtres, y compris tante et cousin(e)s de Barbezieux si tu leur rends une prochaine visite ; et je t’envoie les plus doux baisers d’une réserve… inépuisable. Encore une étreinte infiniment … tendre du vieux poilu aimant qui t’adore follement.

Dans ce courrier Léon Rosset-Bressand laisse un peu plus que d’ordinaire transpercer les réalités de la guerre : «Oui, quand finiront nos terribles tourments ? J’apprends chaque jour la mort d’un Camarade et, parfois, j’en vois tomber autour de moi, que c’est triste ! ». il évoque aussi les détonations qui secouent sa « cagna », c’est à dire un abri rudimentaire où peut se tenir le combattant en cas de bombardements ou d’intempéries.

30 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 30 août 1915

Ma chère petite Mad

Je reçois ta lettre du 28 août (les arrivées se font avec une agréable méthode) dans laquelle tu me signales le retard du n°217 ; les P.T.T sont seuls coupables, on leur accorde les circonstances atténuantes histoire de les ménager ! je te sais gré d’en avoir décidé ainsi avant même de lire ma réponse : quand il s’agit de t’écrire, si brièvement que ce soit, les dangers, le service et les inconvénients de la guerre ne comptent plus pour moi ; donc je le fais tous les jours, ou plutôt toutes les nuits et cela me rapproche de toi et me rattache à la vie. 

Je suis persuadé que le brave Claude fait du bon travail, c’est un fier Marsouin qui suit les glorieuses destinées de ses aînés. Tu chines aimablement la rapidité des « express » établis en notre faveur pour réunir des cœurs qui de loin comme de près battent à l’unisson. Voui c’est un peu long : départ à midi de X, arrivée à la régulatrice de X(2) le soir vers 19 heures même jour et à Angoulême dans l’ap.-midi du lendemain, à Bordeaux vers la 18e heure de ce lendemain : je voudrais bien être… au surlendemain !

N’ai pas lu communication de l’Académie signalée par toi sur « pinard » (vin en style mondain) et sur alcool (denrée inconnue dans les taupinières) ici ne poussent ni littérature, ni autres meubles intellectuels : on forge l’Histoire !!! Suis tout plein attristé de te voir demeurer sceptique quant à ma modération tabagique qui cependant est très réelle, je cesserai même complètement de fumer si cela soit te faire plaisir. Je n’ai rien à te refuser, ma tant chérie !

Temps soudain refroidi, par ailleurs ça claque dur.

J’envoie à tous les nôtres des baisers très affectueux  et je t’embrasse à pleines lèvres avant de te souhaiter douce nuit ou bonne journée. Toutes mes pensées s’en vont vers toi sur cette carte. Encore des bécots à tort et à travers du vieux poilu qui t’aime.

[Au recto, au-dessus de l’image : La guerre !]

Un marsouin désigne ici un militaire de l’infanterie coloniale. Il est permis de penser que l’épouse de Léon Rosset-Bressand s’est inquiétée auprès de lui de sa consommation d’alcool et de tabac ! On retrouve dans ce courrier la qualité d’écriture, teintée d’humour, du caporal Rosset-Bressand.

31 août 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 31 août 1915

Chère petite Mad

Encore la chute d’un autre mois ! et nous entrons dans celui où l’on célèbrera l’anniversaire d’une grande Victoire, c’est le quatorzième mois de cette interminable guerre ; ah ! quand nous nous sommes séparés avec une douleur si profonde nous ne soupçonnions pas une pareille durée des hostilités ! cela excuse un peu bien des dépressions, des défaillances passagères.

L’existence est également cahotée, on est prudent doublement car l’on pense sans cesse à sa chère petite femme. La température demeure fraîche, l’automne arrive déjà et il faut réagir contre le spleen qu’engendre une nature à son déclin.

Couvre-toi sérieusement, ma chérie, et ne te laisse pas surprendre par les tentatives déloyales d’un hiver prématuré.

Pourrais-tu me dire où est située dans notre arrondissement la localité dénommée Grand-Bassac ? n’est-ce pas dans le canton de Montagrier ? J’ai fait la connaissance d’un aimable lieutenant, dans le civil directeur d’assurances à Bordeaux, homme mûr dont le frère habite, habitait plutôt puisqu’il est mort en février dernier, le patelin ci-dessus indiqué. Sais-tu toi qui possèdes une mémoire d’ange quel est le confrère qui « règne » sur ce canton ?

Avez-vous reçu la visite de notre Esculape Jean ? cet excellent jeune homme doit être fort affairé, car depuis plusieurs mois je suis privé de sa chaste prose ; quant à Jack, comme les peuples heureux il n’a pas d’histoire !

A demain, ma Mad adorée, je ne t’écris pas aussi longuement que je le voudrais, les fameuses circonstances sont plus fortes que ma volonté. Pimbert a-t-il encore l’honneur d’abriter ses hôtes gracieux ?

Une foule d’embrassements respectueux bien qu’affectueux autour de toi, et pour ma Mad chérie tous les plus tendres baisers du poilu qui l’aime. N’avons pas eu de courrier aujourd’hui. Un dernier bécot très fou

Léon Rosset-Bressand évoque, dans ce courrier, cette guerre dont on n’avait pas mesuré la durée et l’impact qu’elle a sur le combattant, même s’il le fait de manière assez discrète (« cela excuse un peu bien des dépressions, des défaillances passagères »), toujours probablement pour ne pas trop inquiéter son épouse.

1er septembre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées ce 1e septembre [1915] 23e heure

Ma chérie

Ta longue lettre du 30 m’arrive à l’instant même et sa lecture me remplit d’une douce joie ; avec elle, je reçois une aimable lettre de notre oncle qui me fait le plus grand plaisir. Il me parle des Charenthais ; je ne voudrais pas que vous attachiez trop d’importance à des rencontres que favorisent les hasards de la guerre ; seule leur qualité de compatriotes m’avait incité à faire mention de ce, et j’entretiens avec eux les mêmes relations de confraternité d’armes que je pourrais avoir avec les 2, 3 ou 4 millions de poilus qui meublent la ligne de feu, ni plus, ni moins ; évidemment les émotions vécues ensemble peuvent rapprocher ceux qui combattent et meurent pour la même cause ; de là à une liaison dangereuse, il y a un abîme !!! Sois sans crainte, je ne me donne pas à tout venant.

Je déplore le décousu des mœurs de vos émigrés d’Arm… ; la guerre a dû émousser le sens moral de certains ou de certaines qui peut-être ont subi les horreurs de l’Invasion, les horribles événements actuels révèlent bien des tares ! Tant mieux si les Belges, dont la noble patrie souffre et espère, vous sont de quelque utilité ; Papa n’est pas trop regardant sur la valeur de son personnel, me dis-tu, c’est que la main-d’œuvre doit être rare. Notre Emile se plaint également de cette grave conséquence de la guerre.

Je croyais t’avoir appris le départ de Debourou pour Bordeaux, à la fin de juin, il n’est pas de ceux que l’on remplace aisément ; et je le regrette pour les pauvres blessés qu’il guérissait si bien. Effectivement, Emile est à peu près rétabli, m’écrit Maman ; il compte visiter une formation de l’arrière avant que de rappliquer à son poste. J’espère que Jean et Jacques demeureront longtemps encore dans votre voisinage.

Notre chère Maman est vraiment trop bonne de songer à s’excuser, je ne me permets pas d’accepter la chose ainsi, mon indignité s’y refuse, je sais parfaitement qu’elle est fort occupée et les nouvelles de vous tous que m’apportent fidèlement tes chères babillardes me rassurent au jour le jour sur l’état de santé général du gracieux ermitage. Je crois qu’il faudra, hélas ! reculer une fois de plus l’heure rêvée de la permis. ardemment désirée, un ralentissement accentué étant marqué par le roulement. Ca barde et il pleut.

A bientôt tout de même, Mad chérie. Mille baisers autour de toi et pour toi une foultitude de bises folles et très tendres du vieux poilu qui t’adore.

Dans ce courrier, Léon Rosset-Bressand revient sur les réfugiés qui se sont installés en Charente-Maritime et qu’il a déjà évoqués dans une précédente lettre. Manifestement il y a des tensions avec les réfugiés d’Arm (est-ce Armentières dans le Nord ?). La lettre est aussi intéressante par ce qu’elle nous montre de l’emploi des réfugiés comme main-d’œuvre pour remplacer les hommes mobilisés (la France a mobilisé 8 millions d’hommes entre 1914 et 1918). Mais, sans surprise, la productivité de cette main d’œuvre de substitution, pas forcément habituée aux travaux qui lui sont demandés, semble laisser à désirer (« Papa n’est pas trop regardant sur la valeur de son personnel, me dis-tu, c’est que la main-d’œuvre doit être rare »).

3 septembre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à son épouse Madeleine

Aux armées, ce 3 septembre 1915

Ma chérie 

Je me félicite (que prétention ?) de t’avoir écrit hier le plus longtemps possible… aujourd’hui mes disponibilités « temps » sont limitées au strict minimum, et je dois me contenter de t’embrasser très tendrement en t’adressant mes bien affectueuses pensées. Il fait un froid de canard et nous grelottons, cependant ça chauffe dur !! il pleut et le temps est lugubre…

Le courrier a manqué le coche et nous sommes pour 24 heures privés de tes nouvelles chéries ; nous vivons sur la veille qui nous avait distribué copieusement la manne indispensable au moral.

Es-tu partie à Rib. ? ou bien as-tu pu ajourner ton voyage, le supprimer peut-être ? Demain, je le saurai. Je ne fume plus du tout… depuis 48 heures, primo pour t’obéir, secundo rapport à un retour offensif de cette satanée grippe ; suis devenu une pôvre loque, moi qui m’en défendais hier.

Beaucoup de baisers autour de toi. Je te rebise sans fin très, très tendrement. Ton Léon.

[Au recto, sous l’image : A ma chérie, souvenir de guerre septembre 1914-15]

Cette lettre montre à nouveau l’importance du courrier pour le soldat, d’autant que Léon Rosset-Bressand, qui a des facilités d’écriture et peut-être plus de temps que d’autres soldats étant donné ses fonctions administratives, écrit presque tous les jours.

5 septembre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 5 septembre 1915

Ma Mad aimée

Aujourd’hui je n’ai pas de nouvelles de ma chérie : ce sera pour demain.

J’espère que tu as reçu une réponse satisfaisante de Ram. ? Je t’avais parlé dans une carte précédente d’un aimable lieutenant rencontré sur le chemin de la guerre ; le susdit dont le frère, profr dans la vallée de la Dronne y est mort récemment, est, tu t’en souviens ? Directeur d’as. à Bx (au titre civil). Pour compléter le tuyau cet X se dénomme Bosreden, il connaît à Rib. les docteurs Lapervenche et Durieux.

Les nouvelles intéressantes n’abondent pas… dans les journaux !

Ici : pluie, froid humide et tapage violent diurne comme nocturne ; les rhumatismes, sale engeance ! se vadrouillent depuis la plante des pieds jusqu’à la racine des cheveux ! Tu m’as proposé aimablement des lainages, et je crois bien que j’ai oublié de te remercier de cette gracieuseté ? je pense pouvoir doubler le cap avec ceux, récupérés de l’an dernier ; pour être franc, je ne comptais guère les utiliser une seconde fois !!!! soyons stoïques, n’affaiblissons pas nos courages et… préparons la campagne d’hiver ! Je te demanderais donc simplement une ou deux paires de ces bonnes chaussettes chaudes et solides, que tu sais si chouettement tricoter. La solidité est une qualité indispensable à l’égard de ces mignons outils qui sont appelés à fournir un rude effort !

Mais ne te fatigue pas, rien ne presse : j’en ai, d’ailleurs, reçu deux paires, faites par ma Maternelle, dans un envoi récent ; elles me feront patienter. Ca bardait encore plus il y a 12 mois.

J’embrasse avec affection tous les chers nôtres et je t’envoie une multitude de baisers fous, de pensées très tendres et tout mon cœur. Ton jeune époux, vieux poilu qui t’aime.

Cette lettre montre l’importance de ce que l’épouse peut fournir comme complément à l’habillement du soldat ; les lainages, les chaussettes tricotées, pour résister aux intempéries de l’automne et de l’hiver qui s’annoncent. Les soldats qui n’ont pas d’épouse ou de mère pouvant remplir ce rôle peuvent faire appel à des marraines de guerre ou à des œuvres de charité.

6 septembre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 6 septembre 1915

Ma petite chérie

Deuxième jour sans nouvelles de toi, serais-tu partie pour Rib. ? la chose est malheureusement très possible. Le retard, que je considère comme anormal lorsqu’il dépasse 24 heures, est peut-être simplement dû aux P.T.T. 

Tu n’es pas malade, au moins ? Je te sais vaillante et résignée, c’est pourquoi, j’écarte de mon esprit toutes hypothèses de ce genre, cela ne t’aurait certainement pas empêchée de m’envoyer un petit mot.

J’ai reçu un aimable billet de Jean qui attend le galon dû à ses quatre inscriptions, il salue avec respect le courage de Claude et il n’a pas tort ! le cher Marsouin, vous a-t-il donné de ses nouvelles ?

Je suppose qu’Emile a pu exécuter, à son gré, les diverses parties de son programme. Il est sans doute à Bordeaux, heureux et étonné d’être sorti de la fournaise ! J’en connais un autre qui, selon la populaire expression, « se ronge les sangs » de ne pouvoir encore l’imiter ! Temps légèrement réchauffé par un brillant soleil d’automne de 10 heures (alors que les brouillards se lèvent à 16 heures), matinées, soirées fraîches, nuits froides. 

Existence agitée, physique mieux, moral hésitant ! Tu voudras bien offrir un affectueux baiser aux gracieux habitants de Pimbert.

J’embrasse tendrement nos chers Parents et ce bon Jacquot. Conserve pour toi, ma Mad adorée, les bécots fougueux et les bises très douces du vieux poilu qui t’aime.

Dans cette lettre, Léon Rosset-Bressand montre encore une fois son inquiétude lorsque le courrier de son épouse n’arrive pas.

19 septembre 1915, Carte postale d'un poilu à sa mère

Dimanche le 19 septembre [1915]

Cher mère

Comme hier j’ai promis de vous écrire pour vous dire si jait bien marché. Nous somme partie a 3 heures du village et nous somme dans notre ansien bois. Nous avons fait une dizaine de kil. seulement. Nous voilà donc dans les bois pour deux ou trois jours et en suite de retour dans les tranchées. Il fait un temps superbe. Toujour en bonne santée. Recevez cher mère mes meilleurs baisers. Boudou.

Dans cette carte d’un poilu à sa mère le style et l’orthographe diffèrent nettement de ceux des lettres du caporal Rosset-Bressand et dénotent un milieu social beaucoup plus modeste mais on retrouve des thématiques communes : la fréquence des courriers (« comme hier j’ai promis de vous écrire… »), les nouvelles de la santé, l’affection pour les êtres chers, ici la mère.

14 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 14 octobre 1915

Ma petite chérie

Ai reçu ton affectueuse et longue lettre ; je te remercie de me tuyauter

un brin sur les affaires de ma pauvre Etude. J’ignorais la mort de Mad. de Fourtou qui était une cliente de l’adversaire ; j’espère bien que Ram. ne laissera pas échapper la liquidation Boyer ! Je sais bien que cette brute de L… est entreprenant, mais le sympathique avocat B… ne voudra peut-être pas se joindre à ceux qui, spéculant sur le malheur, donnent tort aux absents ? C’est bien dégoûtant dans ces conditions là de faire son Devoir ; je suis un peu écœuré et ne veux pas t’infliger plus longtemps l’écho de mes doléances bien que tu y compatisses de tout ton cher petit cœur. Le pharmacien était certainement un original ; nonobstant, il avait été certaine fois très aimable pour ma gracieuse épouse !!! Si l’acquéreur, même fictif, n’était pas du lieu il n’y a rien à dire.

Oui, on songe à augmenter notre os, là où je suis faut pas compter prendre du galon et je ne suis pas décidé, m’y trouvant… relativement à ma place, à revenir sur mes refus antérieurs. Si comme je l’ai lu dans les journaux on veut des notaires pour débrouiller les innombrables successions des camarades tombés au Champ d’Honneur, ma foi je poserai ma candidature (où et comment ??? as-tu eu vent de la chose ?) après quatorze mois de Front, j’aurais bien le droit de laisser ma place à d’autres ! Malgré tout je considère cet espoir comme léger et plutôt chimérique. 

La retraite de notre brillant M. des Aff. Etr. nous serre le cœur ; on ne s’habitue pas aux départs…

Temps plus chaud et le reste comme devant. Rencontré Creyx au Qtier Gal de …x… où je n’étais pas allé depuis longtemps (m’y suis ravitaillé en cartes vues) ce brave Esculape, ayant vivement insisté pour m’avoir à déjeuner en leur amb-palace de «l’ »Occiput » (traduis « demi-arrière ») je me suis laissé faire et, quand le service me le permettra, je m’offrirai l’agréable distraction de manger dans une assiette en charmante compagnie. Le Dr Debourou n’est plus là ainsi que tu le sais ; son Sr, le Dr Féron, frère du profr bordelais et éminent praticien lui-même est, dit-on, fort affable. Le Dr Fromaget, une connaissance, travaille (« au repos ») avec Creyx et les autres membres de la formation sanitaire dont s’agit n’ont pas changé depuis ma dernière visite (en mai). Félicitations au cher Papa pour ses vendanges (Jean n’avait peut-être pas sulfaté les vignes ?) Mes souhaits, abondance et qualité, à Pimbert. 

L’hiver approche et la perspective d’en subir un second dans la même situation n’est pas faite pour nous égayer. Je vous offre à tous des baisers affectueux et tu me permets, n’est-ce pas, chérie ? de t’en offrir des particuliers à tort et à travers, follement et de tout mon cœur comme je t’aime. Ton Léon poilu. 

Dans cette lettre, Léon Rosset-Bressand s’informe de la marche de son étude de notaire. On sent bien qu’il ronge son frein d’être mobilisé et craint de perdre des affaires au profit de concurrents non mobilisés et restés sur place, « ceux qui, spéculant sur le malheur donne raison aux absents ».  Cela le rend amer : « C’est bien dégoûtant dans ces conditions-là de faire son Devoir ». Ce sentiment est d’ailleurs très répandu chez les combattants qui font preuve d’une sourde hostilité aux profiteurs de guerre. On peut penser que son épouse a dû lui suggérer de chercher des positions plus élevés dans la hiérarchie militaire. En fait Léon Rosset-Bressand occupe des fonctions administratives (secrétaire) qui, dans les faits, lui donnent une proximité avec les officiers et un mode de vie relativement privilégié même s’il n’est que caporal. En même temps on comprend qu’on lui a proposé des postes plus importants mais qu’il a refusés « se trouvant relativement à sa place là où il est ». Vu son niveau d’études, il aurait pu suivre le peloton d’élèves officiers il a probablement refusé car cela l’aurait amené à prendre des responsabilités ou à occuper des postes plus dangereux.  Cela dit il ne renonce pas à d’autres fonctions plus intéressantes (« on songe à augmenter notre os ») mais toujours dans le domaine administratif. Il parle en particulier de répondre à une éventuelle demande de notaires pour les successions de soldats morts. S’il obtenait un tel poste (espoir auquel il ne croit pas trop d’ailleurs) il répond par avance à l’accusation d’être un embusqué en expliquant qu’en ayant fait son devoir depuis 14 mois il avait bien le droit d’être remplacé par d’autres sur le front. On retrouve son intérêt pour l’actualité politique quand il exprime son regret de la démission du Ministre des Affaires Etrangères. Il s’agit de Théophile Delcassé, l’architecte de la Triple Entente qui avait retrouvé le 26 août 1914 son poste de ministre des Affaires Etrangères. C’est lui qui est l’artisan de l’entrée en guerre de l’Italie à nos côtés en mai 1915. Mais n’ayant pas réussi à dissuader la Bulgarie de se joindre à l’Allemagne et à l’Autriche-Hongrie et étant fortement critiqué, il démissionne le 13 octobre 1915. La lettre nous confirme que ses fonctions administratives l’amènent, malgré son grade bien modeste, à fréquenter les états-majors. Il profite du fait qu’il connaît des médecins pour se faire inviter à manger dans une ambulance,  à l’arrière du front et où les conditions de vie sont bien meilleures : on y mange dans une assiette et en « agréable compagnie » (les infirmières ?).

15 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 15 octobre 1915 

 Ma petite chérie

Beaucoup de turbin varié ! Y a longtemps que je ne t’avais pas fait entendre ce refrain, et je t’assure qu’il répond exactement à la réalité des faits. Je suis d’ailleurs heureux de trouver un dérivatif à ma tristesse ; il fait bon s’étourdir ! Et toi, chérie, que fabriques-tu de joli ? Le temps est-il plus clément aux charmants habitants de La Ménardrie ? Le brouillard gêne un peu les opérations matinales, le soleil qui luit vers la 11e heure chasse les idées noires. Les Charentais que j’avais eu l’heur de rencontrer sur le sentier de la guerre ont transporté leur tente ailleurs… je n’ai pas eu à regretter leur éloignement puisqu’ils étaient, - si j’ai bien compris, « indésirables ». J’avais, par contre, fait la connaissance d’un petit jeune homme charmant, aspirant de la cl. 1915 et fils d’un notaire de la Dordogne, Me Sage (Sarlat) il est parti lui aussi avec son Régiment vers d’autres destinées. Je serais b…grement heureux si ces hasards de la Campagne nous réunissaient avec Claude et Jean ! On pourrait du moins, évoquer ensemble le souvenir des Êtres chéris qui nous attendent là-bas et l’on prendrait mieux son mal en patience.

A bientôt, ma Mad très chère. Je te surcharge d’une foultitude de choses affectueuses pour tous les nôtres et je te réserve les millions de baisers bien tendres du vieux poilu qui t’aime. Ton Léon. 

16 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 16 octobre 1915 

Ma petite Mad chérie

Je lis avec un plaisir infini ta charmante lettre-journal du 14 oct. et l’intéressant récit de votre ballade à Pimbert qu’elle m’apporte. Il paraît en effet que le vin de la guerre sera rare, la qualité remplacera peut-être la quantité. Tu ne fais aucune allusion à ta chère petite santé, j’en augure un mieux sensible. Ici ça va presque bien… physiquement, le soleil fend l’épaisse brume de l’A… ; moralement ça ira… lorsque la Victoire sonnera l’heure de la Paix et du retour au foyer.

L’accalmie… s’atténue ; comme tu le dis on en avait grand besoin. Tes déductions concernant Claude sont parfaitement justes.

Emile a un gros poil dans le creux de la dextre depuis son retour au pays il n’a pas été généreux de sa prose (1 seule lettre) je vais lui en faire le reproche. Je ne brigue pas les honneurs à l’instar du jeune Delarivière et me contente du modeste poste imparti à mes « talents » spéciaux. Je suis, d’ailleurs, loin de m’en plaindre et somme toute si je compare mon sort à celui des camarades (officiers et hommes) qui ne quittent jamais la tranchée (sauf repos traditionnel dans le patelin marmité de l’arrière) je me trouve matériellement fort avantagé. Depuis hier, nous avons légèrement modifié l’installation de « nos services » et mon supérieur a trouvé très naturel que je « dégote » un pieu voisin du sien, un pieu dans une maison trouée mais dans une maison, et un pieu suprême jouissance ! tout est relatif… et il me manque tant de choses pour être heureux !!!!

Tu as eu une excellente idée en écrivant à la gd Mère Joubert ; elle n’a jamais répondu à une carte photog. équestre et Le Bouscat est sans nouvelles de l’aïeule depuis longtemps. Tu obtiendras certainement la cessation de ce silence déconcertant. Malgré l’amélioration de notre position… d’attente je n’ai pas varié de 500m. seulement on a en qlq. sorte pris ses quartiers d’hiver, ce qui n’est guère réjouissant.

On reçoit pieusement les journaux qui sont, n’est-ce pas, idéalement insipides ? Tes lettres chéries demeurent ainsi notre seule distraction réelle. Aurait-on jamais pu prévoir une guerre de pareille durée !!!  et, hélas, l’aurore de la Paix ne se lève pas encore !

A demain, petite chérie bien aimée, je te charge d’une foultitude de bons bécots pour l’entourage qui nous est cher et je t’envoie tous mes baisers affectueux et doux avec une folle tendresse. Ton Léon à toi.

Après avoir évoqué les vendanges (on est dans la région du cognac et du pineau), le caporal  Rosset-Bressand parle de ses fonctions de secrétaire qui lui permettent de ne pas rester en permanence dans la tranchée. Cette situation somme toute privilégiée « matériellement » peut expliquer son peu d’appétence à rechercher une promotion de grade qui pourrait le changer d’affectation et lui faire perdre ses « avantages ». La guerre qui dure maintenant depuis plus d’un an commence à lui peser et « l’Aurore de la Paix » paraît bien lointaine.

17 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

En guerre, ce 17 octobre 1915

Ma Mad chérie

Encore un anniversaire passé loin de toi dans la solitude de mon cœur au milieu du grand Drame. Le temps est sombre et s’harmonise fort bien avec le gris de mes idées. Le soleil n’a pas percé les nuages non plus que la brume aujourd’hui. Malgré tout, tes souhaits gentils ont produit leur effet puisque torticolis et névralgies ont évacué le terrain. Je suis particulièrement heureux de te savoir entièrement remise de ton récent et douloureux malaise et je te remercie beaucoup fort de ta charmante lettre du 15 oct. ct. Sais-tu où perche André Daurel ? tu m’avais appris en effet, le passage du grand A-Ka dans l’auxiliaire. Je suppose que Lartigau dont je n’ai jamais eu de nouvelles se cramponne toujours à Dax quant à Raymond D… mon sympathique camarade, et notre regretté med. traitant, il est à une ambul… de la zone des Armées ; son remplaçant est un tout imberbe j. homme (19 ou 20 ans) débutant de l’Ecole de Lyon ; ce n’est pas le même genre !

Les Serbes sont des gens merveilleux et leur courage égale celui du lion ; quant au demi-boche Tintin, vaut mieux ne pas en parler la diplomatie du coup de poing est la seule que comprennent ces MM.

J’espère que maman a fait un excellent voyage à Barbezieux, et que le colis du « Printemps » est arrivé sans avarie. Emile n’a pas encore quitté Bordeaux ; il confère… à son sujet avec  le Mre Griot l’ex-patron. Les vendanges ont-elles été à peu près satisfaisantes au domaine de Pimbert ? Bien des bécots autour de toi, je te réserve les plus meilleurs et je te couvre d’une foultitude de tendres et folles bises.

Dans ce courrier, Léon Rosset-Bressand s’enquiert de la situation de diverses connaissances. L’école de Lyon dont il est question est l’Ecole du Service de Santé Militaire. L’allusion aux Serbes est liée à l’actualité. En effet, début octobre 1915 les Austro-Hongrois lancent une offensive et prennent Belgrade le 9 octobre. Les Serbes résistent et contre-attaquent à partir du 14 octobre (mais malgré leur courage, les Serbes devront se replier vers l’Albanie).

18 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées ce 18 octobre 1915

Ma petite chérie

Je reçois ta gentille lettre toute parfumée et je remercie très fort la chère expéditrice des violettes-primeur qui ne quitteront plus la place du cœur ; elles me défendront ainsi avec ta pensée et tes vœux contre les multiples engins destructeurs de nos sauvages adversaires.

Je ne suis guère sorti pour aller vers l’arrière depuis plusieurs semaines, cependt aujourd’hui même j’ai fait une courte ballade dans la région de « l’Occiput », fugue à la faveur de laquelle  je visitai ces MM. de l’ambulance… Comme devant, j’y reçus un aimable accueil et, en famille, je passai deux bonnes heures, utilement employées à… gastronomer et à bavarder sur l’interminable longueur de la guerre. Debourou, très regretté, m’a manqué. Son Sr est, en effet, charmant. Le frère plus jeune que lui de ce dernier est interne à Bordeaux (et non professeur audit lieu ainsi que je te le disais à tort lors d’un envoi épistolaire antérieur). Creyx t’envoie ses hommages.

Il fait un froid de canard et je comprends que Claude, plus au nord sans doute ou du moins plus à l’est que moi éprouve le besoin de revêtir déjà le chandail. Le mien est encore potable et je voudrais le voir finir la campagne avec son proprio. Quant à Jean, c’est un jeune bidard ! qu’entends-tu par pellochard ? excuse moi de l’ignorance !

L’assurance « L’Aigle » m’envoie un papirus au sujet de la surprime de guerre et m’indique le montant des primes à payer à la fin des hostilités. Pour lui répondre utilement, j’aurais besoin de renseignements suivants que tu voudras bien me donner à l’aide du dossier : Date à laquelle j’ai souscrit l’assurance. Indication de la prime dont j’ai été exonéré. Date à laquelle je devais payer la 1ère prime. Le paiement des primes est-il effectué d’avance ou à l’échéance ? Tu me pardonneras de venir ainsi t’ennuyer, mais la mémoire mienne est devenue très défectueuse.

Au revoir prochain, ma petite chérie, je te couvre de grosses et chaudes bises et te presse de toutes mes forces en lointaine pensée sur mon cœur. Ton vieux poilu qui t’aime. Millions d’affectueuses choses autour de toi.

Dans cette lettre Léon Rosset-Bressand évoque une visite à une ambulance militaire. Ce n’est pas la première et il connaît une partie des médecins. Il en profite pour se faire inviter, la nourriture étant probablement bien meilleure pour deux raisons : on est à l’arrière et les médecins ont un statut d’officier. On voit aussi dans ce courrier qu’il garde un œil sur le fonctionnement de son étude de notaire.

19 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 19 octobre 1915

Ma petite chérie

Comment vas-tu ? que fais-tu ? comme je la hais cette guerre détestable qui nous sépare ! Oh je sais bien que patriotiquement je dois tenir un autre langage ; cela ne m’interdit certes pas le droit d’ouvrir mon cœur à une épouse chérie ?

Ici, la vie est toujours la même : triste et dangereuse ; le froid ne nous quitte plus et la loi Dal conséquence ignorée de son auteur, pourrait bien réagir sur moi !!! (simple ou double unité) on ferait mieux, ce me semble, de s’occuper un peu de ceux qui sont réellemt visés, de ceux qui se cramponnent au rivage de l’arrière. Si donc tu connais quelque tuyau, fais-le moi vite passer… j’en ai soupé et trop vu : depuis longtemps le feu sacré ne me dévore plus ! je n’insiste pas car je n’aime pas prêcher « pro domo ». Je devrais, du moins, après 14 mois de campagne, trouver (à l’instar de MM. les Esculapes plus favorisés (Creyx, Fromaget, Ribeyrol, etc… s’en vont à l’Intérieur) des confrères amoureux des émotions violentes et patriotiques pour me remplacer. Je n’y compte guère et reporte instinctivement mon espoir sur… toi.

Creyx m’a présenté hier un Dr d’une formation divisionnaire voisine qui exerce ses talents à Pons il connaît ta famille et a eu l’honneur, m’a-t-il dit de saluer notre Maman à Pons ou environs chez -- (ne me souviens plus du nom) il y a 3 ans. C’est le Dr … (son nom m’échappe également !). Moins heureux que Jack, je n’ai pas trouvé de champignons dans ma ballade sylvestre d’hier. Je te quitte avec regret, il est minuit et je roupille tout habillé et encore équipé. J’embrasse affectueusement la Ménardrie et Pimbert et je t’envoie les millions de doux baisers de ton Poilu qui t’aime.

[Recto]  Maman a eu une lettre de Joséphine, la bonne de l’aïeule, qui lui donne des nouvelles de cette dernière un peu encoryzée, mais rien de grave. Vision de guerre ! Pieux souvenir d’un pèlerinage bien cher ! 1913-1915 ! quel contraste – en tout ! [Recto : façade de la cathédrale de Reims partie gauche après le bombardement de 1914].

Dans cette lettre Léon Rosset-Bressand apparaît bien amer, lui qui est au front depuis le début du conflit : « j’en ai soupé et trop vu : depuis longtemps le feu sacré ne me dévore plus ». Il envie le sort de certains médecins de ses connaissances qui ont été relevés par des confrères et souhaiterait, ironiquement, qu’il en soit de même pour les notaires (« des confrères amoureux des émotions violentes et patriotiques pour me remplacer »). Apparemment il a pensé à des relations que son épouse pourrait avoir qui pourraient lui permettre  d’être muté à l’arrière (« si donc tu connais quelque tuyau, fais-le moi vite passer »). La « loi Dal » est la loi Dalibiez. Victor Dalibiez, député des Pyrénées occidentales fait voter le 17 août 1915 un texte de loi qui vise les « embusqués », c'est-à-dire les hommes valides et en âge de partir au front mais qui, bénéficiant plus ou moins de passe-droits, sont demeurés à l’arrière. La loi exige que les hommes en âge de faire la guerre repassent devant une commission pour être éventuellement envoyés dans des unités combattantes. C’est ce à quoi fait allusion Léon Rosset-Bressand quand il parle de « ceux qui se cramponnent au rivage à l’arrière ». Donc cela ne concerne pas le caporal Rosset-Bressand qui n’est pas un véritable  « embusqué » mais ce qui l’inquiète (« conséquence ignorée de son auteur »), c’est que cette loi pourrait tout de même modifier sa situation. En effet, un des derniers articles de la loi Dalibiez  prévoit que les soldats du service armé placés dans des emplois sédentaires seront remplacés par des territoriaux (soldats âgés). Cela revient à dire que Léon Rosset-Bressand risque d’être remplacé comme secrétaire par un territorial et, du coup, se retrouver simple combattant. Cela doit encore renforcer son désir d’être muté à l’arrière. On voit aussi la condition précaire du poilu : « il est minuit et je roupille tout habillé et encore équipé ».

20 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 20 octobre 1915

Ma petite chérie

Avant d’aller pioncer un brin… en gendarme, je t’envoie une foultitude de bons et tendres baisers. Beaucoup de remue-ménage, mais rien de nouveau pour l’instant. Je tâche de conserver un peu de courage pour tenir jusqu’au bout. Il paraît qu’Alleniès part pour Salonique ; je ne sais si nous en ferons autant. A toi de tout, tout mon cœur. Ton poilu trop vieux ! Mille choses affectueuses autour de toi.

Dormir en gendarme signifie dormir en ayant le sommeil léger (allusion au fait qu’il est difficile de dormir d’un sommeil lourd en première ligne). La lettre évoque Salonique en Grèce où le 5 octobre 1915 les troupes françaises et britanniques ont débarqué sous le commandement du général Sarrail et avec l’accord du premier ministre grec Venizélos. Leur but est de stopper la progression des troupes bulgares en Serbie. Mais ce sera un échec.

21 octobre 2015, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 20 octobre 1915

Ma petite chérie

Avant d’aller pioncer un brin… en gendarme, je t’envoie une foultitude de bons et tendres baisers. Beaucoup de remue-ménage, mais rien de nouveau pour l’instant. Je tâche de conserver un peu de courage pour tenir jusqu’au bout. Il paraît qu’Alleniès part pour Salonique ; je ne sais si nous en ferons autant. A toi de tout, tout mon cœur. Ton poilu trop vieux ! Mille choses affectueuses autour de toi.

Dormir en gendarme signifie dormir en ayant le sommeil léger (allusion au fait qu’il est difficile de dormir d’un sommeil lourd en première ligne). La lettre évoque Salonique en Grèce où le 5 octobre 1915 les troupes françaises et britanniques ont débarqué sous le commandement du général Sarrail et avec l’accord du premier ministre grec Venizélos. Leur but est de stopper la progression des troupes bulgares en Serbie. Mais ce sera un échec.

21 octobre 2015, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 21 octobre 1915

Ma petite chérie

Je reçois et lis avec toujours un même gros plaisir tes gracieuses lignes du 18 oct. Pas de modification importante dans notre existence guerrière ; une longue station aux tranchées, devant lesquels nos vis-à-vis étaient d’ailleurs calmes, a largement absorbé mes loisirs. En rentrant chez « moi » je trouve ta susdite babillarde et c’en est assez pour me permettre de roupiller avec quiétude, sans souci des crapouillauds ni des vieux crétins de 77. Je pense à toi sans cesse, à mes chères Etudes, mais maintenant c’est trop, trop long ! Drouin m’écrit, il se plaint de la violente émotion que lui procura je ne sais trop quel lionceau d’une ménagerie de la foire, ce dernier ayant jugé bon de bouffer son patron. Ces jeunes nerveux me font sourire de pitié, à quoi bon s’émousser ainsi la sensibilité sans profit pour la Patrie, mieux vaudrait pour eux et… pour nous qu’ils viennent chercher leur distraction ici. Comme je te l’ai appris antér. Dr Féron a un frère plus jeune que lui qui était interne à Bx, lors de la Mobilis. Fromaget est, en effet, oculiste, il exerce à même enseigne que son aîné.

Mille choses affectueuses autour de toi, et millions de bises chaudes et tendres pour toi-même de ton guerrier aimant. Petite fleur du jardin de mon… cœur à toi toujours.

Le «  crapouillaud » est le surnom donné aux mortiers de tranchées utilisés par les Français. Le 77 est le canon de campagne allemand (l’équivalent de notre 75). On retrouve dans ce courrier la hâte qu’éprouve le caporal Rosset-Bressand d’être relevé du front.

22 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 22 octobre 1915

Ma chère petite Mad

Je t’envoie à la fin de ce jour, un de plus ! mes baisers les plus doux et toutes mes tendres pensées. Rien de toi au courrier, ce sera pour demain. Je commence… à me croire indispensable… traduis. Je voulais t’offrir un souvenir « espécial », je remets, pour cas de force majeure, cette expédition à quarante-huit heures ; rien de bien fameux d’ailleurs.

Il fait froid et le triste hiver étend ses voiles brumeux sur la sombre et humide vallée.

L’horizon demeure noir et chargé de menace, vers l’orient ; espérons que nous saurons débrouiller heureusement et très vite cette nouvelle difficulté. Je ne sais trop pourquoi j’attends du présent malaise balk… un futur bienfait, déterminant de la Paix tant souhaitée.

As-tu des nouvelles de la Résidence ? et de nos locataires ? Avez-vous eu la visite des chers habitants de Pimbert-Jonzac.

L’appel de la classe 1917 n’est pas encore décidé.

Jack pratique-t-il, à l’instar de Claude, un entraînement méthodique destiné à faciliter ses débuts dans la Gde Muette ? Je souhaite vivement que mon cher bof soit versé dans l’artrie, l’infrie est vraiment trop sacrifiée. Emile est toujours à Bx et ne connaît rien jusqu’à ce jour de sa future affectation.

Mille choses affectueuses aux Parents, tante, oncle et bof et pour ma chérie une nouvelle pluie de gros baisers fous du poilu qui l’aime. Ci-joint fleurs cueillies dans le parc dévasté d’un château détruit sur la route de L… A toi toujours.

On voit ici l’espoir que suscite la résistance des Serbes (« je ne sais trop pourquoi j’attends du malaise balka(nique) un futur bienfait, déterminant de la Paix tant souhaitée »). Léon Rosset-Bressand souhaite à son beau-frère d’être mobilisé dans l’artillerie car « l’infanterie est vraiment trop sacrifiée ». Cette remarque d’un combattant de terrain correspond à la réalité statistique puisque durant la Première Guerre mondiale 23 % des soldats mobilisés dans l’infanterie sont morts alors que le chiffre est de 6 % pour l’artillerie. Cette dernière est beaucoup moins exposée puisque, à part ceux qui servent les « crapouillauds » et qui sont plus exposés, les artilleurs se trouvent à plusieurs kilomètres à l’arrière des tranchées.

23 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées ce 23 octobre 1915

Ma chérie

Je lis avec bonheur ta gentille lettre du 20 8bre ; faut pas avoir le cafard, c’est trop mauvais ! je suis sûr qu’avec ta belle vaillance tu sauras courageusemt surmonter les ennuis de la triste saison que nous allons vivre séparés. Les jours et les nuits… ne seront pas gais, alors que tenus éveillés par le froid nous évoquerons un cher Passé, nous devons très sagement compter sur un Avenir réparateur et stoïquement patienter. Ah ! ce n’est pas toujours facile de se faire une raison !!!! Je n’ai nullement l’intention de te chiner ma chère lorsque je prétends obtenir par toi des nouvelles de l’aïeule. Ta prévenance et ta jeunesse ont heureusement influencé son cœur aigri et nul doute qu’elle n’ait conçu pour toi une maternelle affection. Son dernier colis date de fin mai et depuis elle n’a pas donné signe de vie ou plus exactement elle a fait écrire ces jours derniers à Maman, par je ne sais qui, une bout de lettre dans laquelle elle se dit atteinte d’influenza (fait récent) ; en juillet, je lui avais, ainsi que je te l’ai dit antérieurement, envoyé ma photog. équestre. Elle n’aime peut-être pas ce genre de sport ! Emile s’est décidé à m’écrire, il n’est pas certain de rester à Bordeaux. Le départ pour l’Intérieur de ses collègues du front provoquera sans doute son retour parmi nous ; sa conduite à ton égard le remplit de remords. Je te remercie de tout mon cœur de songer à me tricoter de chaleureuses chaussettes. Quelle chance divine si je pouvais aller les chercher en personne ! Encore une chose à laquelle on pense toujours, sans en parler jamais ! Mon aimable chef est très gracieux pour ton Zomme, souvent maintenant il me garde à déjeuner et ne veut à aucun prix me lâcher ! ? de prétention, hein ?

Pauvre chère Fée, tu te prives peut-être de vêtements indispensables ?

Mille choses affectueuses autour de toi et tous mes chaleureux bécots à ma chérie. Soigne-toi bien. Je te presse sur mon cœur de toutes mes forces. A toi tout.

[Au recto, sous l’image : Et tous les malheureux villages de la zone des opérations ressemblent à celui-là ! que de ruines à relever !]

26 octobre 1915, Carte postale de Léon Rosset-Bressand à sa femme Madeleine

Aux armées, ce 26 octobre 1915

Ma chère Mad chérie

Je lis ta charmante et réconfortante lettre du 23 oct. ; je t’en remercie de tout mon cœur.

As-tu passé une bonne journée à Barbezieux ? les renseignements que tu m’as judicieusement fournis au sujet de l’ass. l’Aigle m’ont permis d’écrire à cette Cie une lettre circonstanciée, ainsi que je te l’ai fait savoir ; je te ferai part de la réponse de ces MM. en t’envoyant le dossier. Je ne voudrais pas ennuyer le cher oncle, ne fais auprès de lui aucune démarche ni aucune allusion à une situation éventuelle avant que je t’en ai priée : il s’agit, pour des raisons d’ordre… moral (après 15 mois !!!) de remplacer les secrétres du Front par des Territoriaux (alors que dans les Dépôts on laisse aimablement vieillir les jeunes générations…de même sans doute que dans les Quartiers Gaux et Intendance) c’est la conséquence… étrange de la loi  id la mesure est encore à l’Etude et les gradés ne seraient pas touchés ? Je n’ai jamais craint mon départ du Régiment ni de la… région. Seulement il est assez dur de perdre au bout de 15 mois de turbin, accompli dans le danger, le poste où l’on a fait de son mieux. Les chefs sont d’ailleurs avec moi, avec nous, et nous soutiennent, ils ne comprennent pas que nous puissions, donnant tout satisfaction et eu égard à mes fonctions civiles, que je puisse être ainsi relevé sans compensation alors que, plus ambitieux, j’aurais eu le temps depuis 15 mois de passer officier. La question en est là. D’ailleurs on ne peut choisir pour cette relève un quidam quelconque il faut sauf prétention un poilu assez calé. Je ne tarderai pas d’être fixé là-dessus.

Dans ce courrier Léon Rosset-Bressand revient sur l’article de la loi Dalibiez qui demande le remplacement des soldats affectés sur des emplois sédentaires par des territoriaux. En fait la loi Dalibiez le justifie par le fait que les soldats affectés sur ces emplois (cas de Léon Rosset-Bressand) sont avantagés sur leurs camarades combattants de base (c’est la « raison d’ordre moral » évoquée dans la lettre. Léon Rosset-Bressand en ressent une amertume certaine. A ses yeux lui on s’en prend aux administratifs du front mais on maintient à l’arrière, dans les dépôts (où l’on fait l’instruction militaire de base), dans les Etats-Majors et dans l’Intendance des éléments jeunes qui pourraient combattre sur le front. Il est amer aussi de perdre éventuellement cet emploi « valorisant » par ses fonctions  mais pas par son grade alors qu’il aurait pu prétendre, vu son niveau d’études, devenir officier.

Dossier thématique : Guerre 1914-1918

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Dernière mise à jour : 24 octobre 2022

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